3 NOVEMBRE - POLAR HISTORIQUE France

Frédéric Lenormand, virtuose prolifique du roman historique, a eu l'excellente idée, en 2004, de donner une seconde vie au juge Ti, le héros de Robert Van Gulik, mort en 1967. Il eût été dommage que disparaisse des librairies un personnage aussi savoureux, fin limier à l'humour pince-sans-rire qui se débat au milieu des plus infâmes complots, des crimes les plus monstrueux, élucide les énigmes les plus sophistiquées et risque sa peau à chaque instant, sans se départir de son flegme confucéen et de son quant-à-soi.

D'autant que Ti a réellement existé, semble-t-il. Né en 630 dans la province du Shanxi, il s'appelait Ti Jen Tsié. Ses brillantes études puis ses éminentes qualités lui feront atteindre des sommets : à sa mort, en 700, il était duc de Liang et conseiller très influent de la toute-puissante impératrice Wu. Une femme à poigne, qui avait bien sûr de nombreux ennemis. Ainsi ces sociétés secrètes redoutables, nombreuses et concurrentes, responsables des multiples Meurtres sur le fleuve Jaune qui nous sont contés ici.

Nous sommes en 664. Le juge Ti, convoqué au Palais impérial à propos d'une de ses enquêtes, s'embarque accompagné de son valet-sergent un peu benêt, Hang, pour la capitale, Changan. Il doit, en chemin, protéger un certain Lai Jinchen, indicateur dans une importante affaire de justice, et être assisté par un agent des services secrets. Par prudence, le juge commence par voyager incognito sur une jonque modeste, parmi d'autres passagers, en apparence inoffensifs : un général à la retraite, un commerçant, un pauvre moine bouddhiste... Tout au long du grand fleuve, d'autres embarcations font voile, comme celle, luxueuse, du gros marquis Mu et de ses trois épouses, ou celle de la pieuse et riche Mademoiselle Ruen, qui porte le deuil de son père, à qui elle va rendre un hommage. Ce petit monde se retrouve aux escales, sympathise et se reçoit à dîner. La croisière s'amuse... jusqu'au premier meurtre.

L'anonymat de Ti va vite voler en éclats, comme les apparences de la plupart de ses compagnons, au fur et à mesure que les cadavres se multiplient, dans des circonstances souvent rocambolesques. Ainsi, les femmes voilées du marquis se révéleront être de robustes ninjas, mûres mais efficaces. Le problème de Ti, c'est qu'il ignore longtemps qui il doit protéger et qui sont ses ennemis. Naturellement, il sortira gagnant de ce piège diabolique, comprenant maintenant pourquoi le surnom du fleuve Jaune est "le Chemin des Enfers".

L'intrigue est épatante, le style alerte, l'humour affleure à chaque page. Et l'on apprend plein de choses sur la Chine des Tang, notamment en matière de gastronomie et de boissons alcooliques, auxquelles Frédéric Lenormand nous initie avec une science tout à fait jubilatoire. Si l'on a bien compris ses plans, le prochain épisode des nouvelles aventures du juge Ti devrait se dérouler en 666 et s'appeler Madame Ti mène l'enquête. On l'attend déjà.

10.04 2015

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