La littérature jeunesse, pourquoi pas le 10e art ?

Sylvie Vassallo - Photo Olivier Dion

La littérature jeunesse, pourquoi pas le 10e art ?

Faut-il chercher à faire reconnaître la littérature pour la jeunesse comme un art ? Plusieurs expertes réagissent à la proposition lancée par la directrice du Salon de Montreuil, Sylvie Vassallo.

J’achète l’article 1.5 €

Par Claude Combet,
avec Créé le 21.11.2014 à 01h03 ,
Mis à jour le 23.04.2015 à 10h06

Pour fêter dignement le 30e anniversaire du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, sa directrice, Sylvie Vassallo, a lancé l’idée que "la littérature pour la jeunesse doit être reconnue comme le dixième art". Pour justifier sa proposition, la manifestation met en avant des artistes prestigieux dans sa grande exposition "Passages", qui réunit Quentin Blake, Blexbolex, Serge Bloch, Carll Cneut, Philippe Corentin, Wolf Erlbruch, Elzbieta, Jean-François Martin et Kveta Pacovska. "La mise en proximité de ces univers, donnant à voir la pluralité de leurs œuvres, offre un kaléidoscope sur la permanence, les mutations, les connivences ou les spécificités d’un art qui possède une dimension esthétique et narrative qui n’est plus à démontrer", estime Sylvie Vassallo. Pour les éditeurs et les acteurs du secteur, la créativité, l’inventivité, la qualité des auteurs et illustrateurs ne font pas de doute. Mais ils reconnaissent que la littérature de jeunesse peine à trouver une reconnaissance et le label "10e art" pourrait en être une. Verbatim.

Sylvie Vassallo : "Une grammaire spécifique"

D’après la directrice du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, "la littérature de jeunesse a trouvé son public mais ce n’est pas un art pour tout le monde. La polémique sur Tous à poil ! a montré qu’il y a un malentendu sur son statut littéraire. Certains imaginent qu’elle est un lieu de transmission des savoirs, d’éducation, de morale. Proclamer que cette littérature pour la jeunesse a le statut d’art avec tout ce que cela signifie de liberté, de création, de recherche, d’appel à l’imaginaire est important. C’est bien le premier art auxquels les enfants ont accès, un art démocratique de surcroît. Nous revendiquons la nécessité absolue de permettre aux enfants de raconter des histoires et d’appréhender l’autre et le monde. C’est encore plus évident pour l’illustration : c’est parce qu’on s’adresse aux enfants que la place de l’image est aussi forte. S’y ajoute une grammaire spécifique, une forme narrative, un rapport inédit, un dialogue entre le texte et l’image. Dans l’exposition, Elzbieta dit : "Enfant et artiste habitent dans le même pays. C’est une contrée sans frontières, un lieu de transformation et de métamorphose." Il y a bien quelque chose dans la littérature pour enfants qui n’appartient pas au reste de la littérature."

Emmanuelle Martinat-Dupré : "Deux esthétiques, plastique et littéraire"

Pour la responsable scientifique du musée de l’Illustration jeunesse de Moulins, "l’illustration pour la jeunesse est un art appliqué à part entière. La littérature de jeunesse instaure un dialogue entre cet art appliqué et le texte, entre deux esthétiques, plastique et littéraire. Par l’intérêt que les chercheurs, les universitaires mais aussi le grand public lui portent, par les donations qu’il reçoit, par les contacts qu’il a noués à l’étranger et la consécration dont il fait l’objet, le musée de l’Illustration jeunesse, qui fêtera ses dix ans en 2015, a-t-il besoin d’un label ? Mais le fait de se poser la question est déjà positif, et démontre qu’on est arrivé à un point de maturité. Le label "10e art" pourrait donner davantage de moyens et d’éclairages sur la littérature pour la jeunesse. Il pourrait nous aider à constituer une mémoire, à imaginer des plans de conservation partagée intelligents et nous amener à une réflexion d’ensemble sur les moyens de préserver cette littérature, comment la valoriser et la transmettre."

Marie-Thérèse Devèze : "Une œuvre qui obéit à un processus artistique"

La directrice de la galerie L’Art à la page juge "évident que la littérature de jeunesse est un art". Elle explique : "Nous exposons depuis vingt-cinq ans dans la galerie. Pour preuve, je ne parle pas d’illustrateurs mais d’artistes qui travaillent pour le livre, car ils ont une œuvre, qui évolue, qui est matière à réflexion, qui obéit à un processus artistique. En vingt-cinq ans, l’édition s’est ouverte, tandis que la création contemporaine est arrivée à maturité. Il y a davantage de zones de liberté pour les jeunes artistes qui souhaitent travailler pour le livre. Il y a des œuvres qui marquent, des points et des techniques très variées, et des publications très intéressantes. La période est très riche. L’illustration n’illustre pas, elle donne un point de vue et ouvre un double champ de lecture, tandis que le texte apporte une réflexion : le livre est un ensemble, un tout. Je revendique le 10e art sans problème."

Nelly Chabrol Gagne : "Des idées concrètes pour faire avancer cette cause"

Selon la maître de conférences à l’université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand, coresponsable du master de création éditoriale des littératures générales et de jeunesse, "c’est un combat quotidien que d’imposer la littérature de jeunesse à l’université. Pour certains, la littérature de jeunesse, ce n’est pas de la littérature, ce sont des livres pour enfants. Il nous a fallu dix ans pour ouvrir les parcours édition et littérature de jeunesse dans le département lettres de l’université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand, en septembre 2013. La littérature de jeunesse, un 10e art, j’ai envie de dire : pourquoi pas ? Mais il y a au moins une dizaine de postulants pour cette dixième place, dont les arts numériques ; et la littérature occupe déjà la cinquième place. Mais j’ai des idées concrètes pour faire avancer cette cause : il faut une labellisation ; un prix Nobel Jeunesse, voire un Goncourt, un Médicis, un Renaudot… ; une Fête de la littérature jeunesse de toute urgence [le CNL y travaille, NDLR] ; des initiatives locales comme des résidences d’artistes jeunesse ; et surtout un plan de formation aux niveaux national et européen."

Christelle Doyelle : "Incontestablement un art éditorial"

L’éditrice d’art chez Pyramyd éditions estime : "Le livre de jeunesse obéit aux mêmes préoccupations du rapport texte-image et de la mise en valeur de l’image que le livre d’art ou de graphisme pour adultes. Pour lancer notre collection d’activités pour les jeunes autour du street art, "Black color book", nous avons utilisé notre expertise autour de l’art et de l’artiste, que nous avons appliquée à un public différent de notre public habituel. La littérature jeunesse est plus innovante et ose plus de choses que celle pour d’autres publics, notamment dans les formes et en termes de fabrication. Je ne sais pas si l’édition de jeunesse est un art, mais faire des livres est un art, alors c’est incontestablement un art éditorial."

Delphine Beccaria : "Il n’y a pas besoin de défendre l’idée, c’est une réalité"

La libraire à La Sardine à lire ne se pose même pas la question : "La littérature de jeunesse n’est pas un art, elle est. Il n’y a pas besoin de défendre l’idée, c’est une réalité. Le graphisme, c’est de l’art, le texte, c’est de la littérature. Elle répond à un bel équilibre entre le texte, l’image et l’objet-livre. Il y a de vrais chefs-d’œuvre, de grands illustrateurs, qui ont eu des maîtres : la littérature de jeunesse appartient au patrimoine mondial. Cet automne encore, on a des pépites dans nos librairies comme Bonjour d’Anne Brugni ou La chambre du lion d’Adrien Parlange… C’est la raison pour laquelle je suis libraire."

Les dernières
actualités