Stratégie

Que le confinement ait provoqué an- goisses et sueurs froides, on ne trouvera pas beaucoup de commerçants pour le nier. Mais les libraires ont paradoxalement pu trouver du réconfort dans la période, bien au-delà de ce qu'ils auraient imaginé. « Nos clients nous ont montré de vraies preuves d'amour », s'exclame Xavier Moni, directeur de Comme un roman (Paris 3e) et président du Syndicat de la librairie française (SLF). Au cœur de nombreux reportages dès leur fermeture et bénéficiant de la bienveillance de l'opinion publique, les librairies « ont occupé une place dans le paysage bien supérieure à leur poids économique », remarque Philippe Moati, économiste et cofondateur de l'Observatoire société et consommation (Obsoco), qui s'interroge : « Je serais curieux de savoir si la crise a modifié la répartition des circuits de vente en faveur de la librairie. »

Dirige la librairie les champs magnétiques 80, rue du rendez-vous 75012 Paris - Marija Meresse - Librairie les champs magnétiques- Photo OLIVIER DION

En dehors d'une remise plancher à 35 % pour tous, qui est la revendication numéro un dans le secteur - « les diffuseurs doivent faire de la librairie le pilier de leur politique commerciale ! », réclame Xavier Moni - pour se relancer, « il va falloir revenir le plus vite possible aux fondamentaux du métier, et se recentrer sur l'humain », estime Guillaume Husson, délégué général du SLF. Reste que, le coronavirus circulant toujours, les libraires sont depuis trois mois contraints de s'adapter.

Changer ses habitudes

Chez BD Flash, à Rambouillet, « on a deux fois plus de réservations, par mail et par téléphone », relève Kevin Lecathelinais. Il lui faut gérer l'espace de stockage dans le magasin, « mais j'ai l'habitude avec Noël, donc ça n'a pas été la panique », assure-t-il. Largement démocratisé pendant le confinement, le « click and collect » s'installe dans les habitudes des Français. Encore faut-il communiquer autour de cette possibilité. C'est ce qu'a fait pendant le confinement Marija Meresse, propriétaire des Champs magnétiques, dans le 12e arrondissement de Paris, avec succès : « J'ai mis des affiches en vitrine pour informer mes clients du fait qu'ils pouvaient commander sur Place des libraires ou Paris Librairies. » Elle a aussi réalisé qu'un site personnel indiquant directement son stock pourrait lui être utile à l'avenir.

Si Marija Meresse n'a pas encore sauté le pas, préférant réserver ses prochains investissements à une nouvelle devanture, plusieurs libraires se sont décidés. Thomas Le Bras, directeur de la plateforme Leslibraires.fr, qui recense les stocks de 264 librairies indépendantes, permet la réservation et la commande en ligne et offre aussi une prestation de création de sites e-commerce, a créé une douzaine de sites par mois pour des libraires indépendants pendant le confinement, contre une moyenne de trois par mois d'ordinaire. Mais c'est la livraison à domicile qui suscite le plus d'intérêt. À Paris comme en province, beaucoup de libraires, pour maintenir un lien avec leurs clients ou pour rendre service, l'ont pratiquée avant que le gouvernement ne se prononce sur ce qui était autorisé ou non.

« J'ai fait des livraisons moi-même, du premier au dernier jour, sans mettre en danger un livreur ou mes employés. Et j'ai eu des retours incroyables », fait valoir Sophie Fornairon, de la Librairie du Canal (Paris 10e). Pour Frédéric Porcile, gérant de la librairie Esprit BD (Clermont-Ferrand) et coprésident de l'association Chez mon libraire, ce recours à la livraison « va de pair avec nos nouvelles habitudes sociétales ». Il s'agirait alors, pour une profession déjà menacée par Amazon, de ne pas rater le coche, tout en s'inscrivant dans une démarche écologique : « Pourquoi ne pas réfléchir à des livraisons vertes, à vélo ? On navigue à vue, mais c'est une piste à creuser. »

21.09 2020

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