12 février > Philosophie Grande-Bretagne

Sa distinction britannique habillait parfaitement son anarchisme. Bertrand Russell (1872-1970) s’exprimait toujours clairement et ce qu’il disait était souvent dérangeant, au point de valoir à cet aristocrate quelques courts séjours en prison pour ses activités pacifistes. Ce mathématicien et philosophe, professeur à Cambridge, fut l’un des grands esprits du XXe siècle et l’un des fondateurs de la logique moderne. C’est donc toujours un plaisir de tomber sur un texte encore inédit en français de ce Voltaire anglais sur un sujet éminemment passionnant : l’éthique et la politique.

Aujourd’hui, on aurait tendance à distinguer les deux domaines, afin de ne pas créer d’interférences. Russell n’est pas de cet avis. Le logicien s’engage donc à démonter le système en expliquant que la politique sans éthique, c’est comme un vélo sans roue : ça ne vous emmène pas bien loin. Or, pour Russell, la politique doit conduire l’homme, le citoyen vers une vie meilleure, plus ordonnée, plus acceptable et surtout plus juste. Ce grand Britannique, qui reçut le prix Nobel de littérature en 1950, se situait plutôt à gauche, une gauche de tendance libertaire qui se méfiait de Staline et du communisme. Comme ses costumes, sa philosophie est toujours bien coupée, un peu trop analytique peut-être pour l’esprit français, mais furieusement tendance, ne serait-ce que parce qu’elle vous marque par son sens de la formule, son appétit pour le savoir et sa volonté de transmettre.

Construit en deux parties, cet essai aborde sa conception de l’éthique, puis de la politique. Pour lui, "un acte juste est un acte qui vise à la plus grande satisfaction possible des désirs des êtres sensibles". Autrement dit, il met de la passion dans la raison et de l’émotion dans l’élaboration d’une société meilleure. On en aura une vive illustration dans la récente réédition par les éditions Lux du Monde qui pourrait être (260 p., 14 €), un livre achevé en 1918 dans lequel Russell expose les idées politiques qui devraient guider sa reconstruction. Une autre guerre mondiale plus tard, il réitère et développe son propos dans cet Ethique et politique. Sa réflexion est alors très marquée par la guerre froide et la menace de la destruction totale par l’arme atomique. Russell est un pacifiste qui croit en l’avenir de l’espèce humaine, même si cela peut prendre quelques siècles. L’essentiel est de lutter contre la peur et l’ignorance. Puisque les idoles, les religions, la notion de péché et les idéologies n’ont pas contribué à rendre l’homme plus heureux, il faut envisager autre chose. C’est ce à quoi s’emploie ce moraliste qui rappelle que la philosophie est aussi affaire de bon sens. "Très peu de gens sont plus heureux parce que le monde va mal." D’une logique imparable. Laurent Lemire

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