Rencontrer la vive quadragénaire Blandine Le Callet, c'est tenter de faire coïncider l'image de la romancière, auteure de deux best-sellers chez Stock, et celle de l'antiquisante, normalienne, enseignante- chercheure de latin à l'université de Paris-12 Créteil. De faire aussi le lien entre deux romans de registre très différent - une comédie chorale contemporaine (Une pièce montée, 2006) et un roman psychologique et critique d'anticipation (La ballade de Lila K, 2010) -, chacun couronné, entre autres, du prix des Lecteurs du Livre de poche. D'autant plus que le troisième titre à paraître, Dix rêves de pierre, un recueil de nouvelles inspirées d'épitaphes que cette amoureuse des cimetières collecte depuis plus de vingt ans, donne encore à découvrir une nouvelle facette de ses talents parmi lesquels une imagination fertile. Car les idées d'histoires à écrire ne manquent pas, reconnaît-elle.

Du coup, la question qui semble se poser est plutôt de savoir quand et dans quel ordre les mettre en forme, comment leur faire place dans un quotidien déjà bien rempli entre un emploi du temps d'universitaire en service actif et une vie de famille avec mari et enfants. "Je suis patiente", explique-t-elle, comme si sa grande capacité de travail ne pouvait pas tout justifier. "Je crois au temps. J'ai confiance dans son travail obscur." Elle est par conséquent capable de laisser de côté sans angoisse un projet, en se disant : "Je le reprendrai dans dix ans." Ou de fondre, comme pour La ballade de Lila K, plusieurs textes inaboutis pour n'en faire qu'un.

"Si ce n'est pas maintenant, ce sera plus tard" pourrait être sa devise. Et cette patience semble porter ses fruits : Le roman de Médée, deuxième manuscrit proposé à Jean-Marc Roberts pour Stock et refusé par l'éditeur, a attendu son heure dans un tiroir jusqu'à ce que Casterman propose à l'écrivaine une carte blanche : écrire le scénario d'une série BD. Remanié, adapté, le récit illustré de la vie de la mythologique princesse magicienne paraîtra au printemps prochain.

Dans la postface de Dix rêves de pierre, la romancière évoque sa sensibilité "à la puissance d'évocation des inscriptions funéraires" et, rendant hommage à ses sources, raconte comment elle a recueilli ces épitaphes authentiques, dernières traces de défunts anonymes, dont certaines ont aujourd'hui disparu. A partir d'elles, elle a inventé des histoires qui courent de l'Antiquité à nos jours, de Lyon à Rouen, de la Turquie à Paris, et de l'Isère au cimetière de Quistinic, le hameau breton berceau de sa famille paternelle. Le temps, encore lui, ne change pas les hommes, dit-elle. "Mêmes chagrins, mêmes vanités", observe cette épicurienne dont le De rerum natura, le poème sur la nature de Lucrèce, est le livre de chevet, au côté d'Homère et des tragédies d'Euripide. "Il y a tout là-dedans."

La vraie vie

Blandine Le Callet assure que l'intimité avec les textes anciens qui ont traversé les siècles lui inspire un sentiment d'humilité en relativisant la notion de postérité littéraire. Et elle fait mentir le cliché qui veut que s'intéresser à des auteurs du passé éloigne des affaires de la vraie vie. La familière des classiques est bien de son temps. Si, dans le cadre de son doctorat, elle a étudié il y a plusieurs années les monstres dans la Rome antique, elle continue de se pencher sur la façon dont chaque époque, et la nôtre en particulier, définit ses marginaux. Et c'est pour avoir notamment décrit, dans La ballade de Lila K, un futur proche où des "gramabooks" auraient remplacé les livres papier que l'éminente latiniste a reçu en 2011 le premier prix du Livre numérique.

«Je n'écris pas par fulgurance. Le premier jet est terrible : je dois travailler et retravailler", affirme cette romancière "pénélopienne" >qui trouve l'équilibre de son style en lisant ses phrases à haute voix. Tout en nourrissant le désir de libérer dans un prochain livre cet élan très maîtrisé pour aller vers quelque chose "de plus brut, de plus râpeux".

Pour l'instant, malgré ses succès éditoriaux, Blandine Le Callet n'envisage pas d'arrêter d'enseigner pour se consacrer entièrement à l'écriture : "D'abord, j'adore mon métier, le contact avec les étudiants est très régénérant. Mais je trouve aussi précieux de ne pas avoir la nécessité de gagner de l'argent avec les livres. Je n'ai pas de pression, pas de délai.""Et puis, je ne veux rien lâcher. Je veux tout." Même si, on l'aura compris, ce n'est pas forcément tout de suite.

Dix rêves de pierre, de Blandine Le Callet (Stock),sortie le 24 janvier, ISBN 978-2-234-07477-4, 18 euros.

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