La vague noire en librairie

"Présenté comme très masculin, sous-genre mal écrit, le polar s’est ouvert au public féminin avec des "page-turners"." Lamia Toumi, Gibert Joseph - Photo Olivier Dion

La vague noire en librairie

Les libraires de polar observent un élargissement de leur public cible et, devant une production foisonnante, travaillent à affiner l’offre et à la mettre en scène via rencontres et événements.

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Par Anne-Laure Walter
avec Créé le 10.03.2017 à 00h34

Le polar se porte bien, même très bien", constate Corinne Picaudé, responsable poche et polar à la librairie Hall du livre, à Nancy, qui a agrandi son rayon face à l’explosion de l’offre. La montée en puissance du polar et son ouverture vers le grand public remontent au début des années 2000, avec notamment Da Vinci code de Dan Brown et la trilogie Millénium de Stieg Larsson, précisent les libraires, donnant une visibilité médiatique à un genre longtemps réservé aux spécialistes. "Auparavant, le lectorat était masculin amateur de roman noir. Je trouve qu’il s’est féminisé, avec une préférence pour le suspense, le thriller avec des auteures comme Fred Vargas", analyse Corinne Picaudé. Une évolution que confirme Lamia Toumi, qui anime un grand espace polar à la librairie Gibert Joseph du boulevard Barbès, à Paris 18e. "Le profil s’est transformé mais l’offre a aussi beaucoup changé. Présenté comme très masculin, sous-genre mal écrit, le polar s’est ouvert au public féminin avec des "page-turners"." Parmi les grands succès de ces derniers mois, en poche et en grand format, les libraires interrogés citent, outre les best-sellers comme La fille du train, Cartel de Don Winslow (Seuil, 2016) ou les livres d’Hervé Le Corre, dont le dernier paru en janvier, Prendre les loups pour des chiens (Rivages).

"Le lecteur de polar est un des plus gros acheteurs" de livres, indépendamment des prix littéraires et autres récompenses, car c’est un lecteur "compulsif", ajoute Lamia Toumi. Le polar reste pour beaucoup, et pour ses lecteurs au premier chef, un ouvrage facile pour les trajets quotidiens ou les vacances, comme en témoignent "les pics de ventes en juillet-août et décembre", souligne David Bars de la librairie Gwalarn, à Lannion. Mais pour le libraire, ce n’est pas tant le profil des lecteurs qui a changé que le polar en lui-même qui a muté.

Médias prescripteurs

"Les auteurs comme Hervé Le Corre ou Benoît Philippon pourraient très bien entrer en collection "blanche"", souligne-t-il. Un autre auteur a joué un grand rôle dans la reconnaissance du polar, aux yeux de Lamia Toumi et de Corinne Picaudé : Pierre Lemaitre et son prix Goncourt en 2013 pour Au revoir là-haut (Albin Michel), alors qu’il était surtout renommé pour ses romans policiers. "Les éditeurs l’ont bien senti et les médias contribuent à cette meilleure image : "La grande librairie" invite des auteurs de polars, le magazine Lire leur consacre une rubrique", résume Lamia Toumi.

Si les médias restent prescripteurs et les best-sellers incontournables, les lecteurs qui ont découvert l’univers du polar comme les "accros" de longue date sollicitent les conseils des libraires. "Un peu perdus face à la profusion, ils recherchent des conseils via les blogs, les clubs de lecture, Facebook et bien sûr leur libraire", explique Lamia Toumi qui oriente "des gens parfois intimidés" face à la taille de son rayon qui est complété par quatre tables de présentation. "Je fais un premier tri avec les représentants qui m’aident à affiner, et puis l’expérience parle". Si elle dispose Harlan Coben et Guillaume Musso en évidence, cette grande lectrice de polar note ses coups de cœur et essaie de faire preuve "de réactivité : si un article a beaucoup fait parler d’un titre, [elle] le lit et le met en valeur". "Et puis, ajoute-t-elle, au bout de trois ans, je connais ma clientèle !"

La question du choix reste cruciale. "Dans une grande librairie comme la nôtre, on essaie d’avoir un choix large : de tout chez tout le monde, alors qu’en poche, on fonctionne aux coups de cœur des libraires", explique Corinne Picaudé, qui a le "souci d’exploiter la place au maximum".

Dans sa librairie de Lannion, avec "un rayon trop petit", David Bars doit opérer des "choix drastiques" en combinant des titres "piochés dans les services de presse" et ses goûts personnels. Olivier Pène, de La Machine à lire, à Bordeaux, réalise "des choix en amont" écartant des ouvrages de maisons avec lesquelles il ne travaille "pas du tout". Et il insiste sur l’événementiel. Il a lancé il y a cinq ans "La Machine à polar", des rencontres tous les mois avec Yan Lespoux, auteur du blog littéraire Encore du noir, et Hervé Le Corre qui discutent de leurs lectures avec le public, "permettant de faire connaître des auteurs et de les ressortir de l’ombre". Chaque édition est assortie de la mise en valeur d’une dizaine d’ouvrages. Lamia Toumi a une démarche similaire avec, chaque année en mars, depuis trois ans, un mois du polar. Ainsi, samedi 4 mars, était présenté en avant-première Mör de Johana Gustawsson (Bragelonne). d L. J.-G.

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