Roman/France 10 janvier Gilles Leroy

Il s'appelle Adam. Mais à aucun moment sa mère, Lorraine Blanchette épouse Kennedy, ne prononcera son prénom. C'est le père, Fred, dont il est le chéri, qui le fera, tendrement. Elle, c'est comme si elle préférait, désormais, oublier celui qu'elle appelle «  l'escroc » et qu'elle a chassé du bungalow familial. Il faut dire qu'à 15 ans, le garçon n'est pas facile. Il ne l'a jamais été. C'est un écorché vif, un chat famélique secret, taiseux, rebelle, qui peut devenir violent, et a déjà fait quelques bêtises. Il a même eu droit à trois mois de prison pour mineurs. Mais surtout, cette fois, ce qui a tout déclenché, c'est que ses belles-sœurs, qu'elle déteste, viennent d'apprendre à Lorraine, non sans gourmandise malsaine, que son fils est un «  dépravé », qui fréquente assidûment les vestiaires de l'équipe locale de basket. La mère, d'une bigoterie fanatique, découvre donc qu'Adam est gay. Fred, lui, s'en doutait depuis longtemps, mais semble s'en moquer. Après une explication d'une rare violence, où il traite sa mère de «  sale pute toxico », le garçon disparaît. On ne le reverra pas. Et Lorraine, tout à sa rage, à son humiliation, à sa culpabilité, peut-être, entreprend de brûler, dans un coin du minable lotissement familial, toutes ses affaires. Et c'est elle qui, faisant alterner passé récent et flash-back depuis la naissance d'Adam, grand prématuré, raconte leur triste histoire. Comment, en chassant l'aîné, elle a voulu protéger ses trois autres fils, deux jumeaux et Benjy, un peu attardé, de la « contamination ».

On est au Wisconsin, dans le nord agricole des Etats-Unis, terre pieuse et traditionaliste s'il en est, chez des « petits Blancs ». Fred est un bourgeois déclassé, qui se serait rêvé guitariste de blues, a fait tous les métiers, y compris certains peu avouables, et vivote. Lorraine, inculte, est la meneuse du « clan Blanchette », des paumés qui croyaient faire fortune en louant des espaces de leur propriété à des mobile homes. La crise est passée par là. Ce n'est pas la misère, mais pas loin. Et, pour Lorraine, la seule consolation vient du Seigneur, qu'elle prie frénétiquement. On se croirait parfois chez Steinbeck. Avec des personnages en creux, comme Aloysius, le père de Fred, devenu « un vieux hippie lugubre  », depuis que la guerre du Vietnam a bousillé sa vie. Parfois, quand il fuguait, Adam se réfugiait chez lui, pêchait dans le grand lac. Pas cette fois. Impossible de le retrouver. Le couple Kennedy survivra-t-il à cette nouvelle épreuve ?

Gilles Leroy, qui retrouve ici son Amérique romanesque de prédilection, ne juge pas. Lorraine est à la fois monstrueuse et touchante, Fred faible et émouvant, et l'on aimerait bien connaître Aloysius. Quant à Adam, ce n'est ni un saint ni un martyr, juste un pauvre gosse qui n'a jamais pu exprimer tout ce qu'il a en lui. A moins que, on the road, il se soit trouvé.

Gilles Leroy
Le diable emporte le fils rebelle
Mercure de France
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 14 euros ; 150 p.
ISBN: 9782715248588

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