22 mars > Essai France > André Burguière

Cela faisait longtemps que l’idée lui trottait dans la tête. André Burguière voulait faire un livre sur la gauche. Alignement des astres éditoriaux et des désastres électoraux pour la gauche ? En pleine campagne présidentielle, c’est fait : l’historien publie chez Stock un essai au titre on ne peut plus percutant, La gauche va-t-elle disparaître ?.

Pour l’ancien secrétaire de rédaction des Annales, à qui l’on doit notamment une "histoire intellectuelle" de ce mouvement historiographique fondé par Lucien Febvre et Marc Bloch, L’école des Annales (Odile Jacob, 2006), il ne s’agit pas de jouer les Cassandre mais bien de comprendre pourquoi tant souhaitent, en France ou ailleurs dans les démocraties occidentales, dépasser voire effacer le clivage gauche-droite ? A l’heure de l’économie globalisée, la gauche se cherche, coincée entre le marteau d’un évangile néolibéral et l’enclume d’un discours souverainiste, populiste aux accents xénophobes - Marine Le Pen en tête, mais aussi Jean-Luc Mélenchon qui traita Angela Merkel de "Bismarck femelle". "Pour l’Europe", "L’école libératrice ?", "Contre la professionnalisation de la politique", l’auteur traite dans ses chapitres du temps présent mais demeure historien. Pendant longtemps, observe-t-il, la droite ne disait pas son nom : "Quand la droite prend le passé à témoin, c’est pour invoquer Jules Ferry, Clemenceau ou même Jaurès (comme le fit Jacques Chirac durant la campagne présidentielle de 1995), mais jamais Thiers, Barrès ou Poincaré." Il faut dire que le régime de Vichy pronazi, avec ses valeurs très conservatrices, avait beaucoup fait pour ternir le prestige desdites valeurs. Et si l’on remonte plus avant dans l’histoire, la droite et, a fortiori, l’extrême droite ont mis du temps à se convertir à la République. A gauche, la généalogie date également de la Révolution française, être de gauche c’est se revendiquer de la liberté à l’instar de ces sans-culottes qui combattirent l’arbitraire royal. C’est avoir chevillée au corps cette "passion noble" qu’est l’égalité. "La gauche française a été baptisée par le jacobinisme", ce qui explique son attachement quasi fétichiste à l’Etat, sa difficile mue vers la social-démocratie et une culture du compromis, vite taxé de compromission. L’auteur souligne "l’absence d’un "Bad Godesberg" français" (congrès du parti socialiste allemand en 1959 entérinant l’économie de marché) : à savoir "le refus du socialisme français, de Guy Mollet à François Mitterrand, de se rallier doctrinalement à l’économie de marché tout en épousant dans les choix politiques les plus favorables au capitalisme."

Le citoyen réduit à l’homo economicus et les acquis sociétaux étant justement acquis, ne serait-on à gauche que "par défaut", à savoir sans projet ?

André Burguière, qui se réclame de "la gauche de Jean Jaurès, de Léon Blum, d’Olof Palme et de Nelson Mandela", pense qu’entre gauche et droite il y a encore une différence : faire la différence justement. Et fort d’une "nouvelle conscience planétaire", faire le choix d’une société ouverte plus juste, prenant en compte les laissés-pour-compte, plutôt que d’une nation recroquevillée sur soi aux accents souverainistes et anti-immigrés : "Etre de gauche, c’est accepter le caractère optatif de la politique." Sean J. Rose

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