Histoire/France 14 novembre Nils Tavernier

Construire ses rêves... Peu y parviennent. Il faut une détermination sans faille, un aplomb démesuré et une santé de fer. Ferdinand Cheval (1836-1924) possédait les trois. Il a donc fait l'expérience rare non seulement d'édifier un songe, mais de le faire visiter.

Il a grandi dans un paysage de collines où il distinguait le château de Charmes. Dans cette Drôme piquée de tours médiévales, le monde paysan se modernise avec l'idée de progrès diffusée par le second Empire. « Ferdinand a, tout au fond de lui, la sensibilité des grands mystiques. » Ses bibles s'appellent Le Magasin pittoresque ou L'Univers illustré qu'il distribue aux abonnés. Au gré des pages, il voyage en Asie, découvre les temples d'Orient et nourrit son imaginaire. Puis, c'est le déclic qu'il explique dans sa fameuse lettre : « Un jour du mois d'avril en 1879, en faisant ma tournée de facteur rural, à un quart de lieue avant d'arriver à Tersanne... » C'est le premier caillou. D'autres vont suivre. A l'inverse du Petit Poucet, Ferdinand Cheval ne recherche pas son chemin, il le connaît. Seul, avec sa brouette, du ciment et de la patience, pendant trente-trois ans, il va édifier sa Sagrada Família. Sa tournée lui prend dix heures par jour. Qu'à cela ne tienne ! Comme il ne dort que quatre heures, il lui en reste encore dix pour son rêve éveillé.

Nils Tavernier raconte fort bien cette folie douce, ce glissement progressif dans le désir d'aboutir. Et cela au milieu des morts qui se succèdent, ses deux premières femmes, ses deux fils et sa fille Alice, qui aura connu jusqu'à ses 14 ans ce palais des merveilles. C'est pour elle que Cheval ira jusqu'au bout, supporté par sa troisième épouse, Philomène. Il veut aussi en finir avec les quolibets du village qui désignent la « maison du fada ». La reconnaissance finit par arriver et les touristes affluent à Hauterives pour voir ce Palais idéal. Robert Doisneau le photographie à la fin des années 1950 et André Breton prend la pose dans ce songe bien réel de 12 mètres de hauteur et de 26 mètres de longueur.

Mais l'ouvrage se détériore et la question du classement se pose. Jean Dutourd, dans Le Figaro, évoque « un Jérôme Bosch du ciment, un Michel-Ange de la chaux lourde, un Fra Angelico rustique. » Mais la commission supérieure des monuments historiques refuse. Malraux en a vu d'autres. Devant le Sénat, il justifie le classement de ce chef-d'œuvre de l'architecture brute. « En un temps où l'art naïf est devenu une réalité considérable, il serait enfantin de ne pas classer, quand c'est nous, Français, qui avons cette chance de la posséder, la seule du monde, et d'attendre qu'elle se détruise. » Ce sera chose faite en 1969.

Il existe de nombreux livres sur le Palais idéal, sur les lectures ésotérique et symbolique qu'on peut en faire, mais très peu sur le bâtisseur. Pour son film qui sortira le 16 janvier avec Jacques Gamblin dans le rôle-titre, Nils Tavernier s'est attelé à un véritable travail documentaire sur cet homme qui veut aller au bout de son rêve de pierre. Par amour-propre et par amour pour tous ceux qui ont disparu, le facteur a fait de son utopie une fierté sans mélange. C'est bien lui, le vrai Cheval d'orgueil.

Nils Tavernier
Le facteur Cheval : jusqu’au bout du rêve
Flammarion
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 19 euros ; 352 p.
ISBN: 9782081440173

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