10 septembre > Roman Italie-France

Napoléon Bonaparte (1769-1821), n’en finit plus de susciter un regain d’intérêt général, y compris pour de curieuses raisons - pourquoi toutes ces récentes commémorations du calamiteux Waterloo, alors qu’en leur temps celles d’Austerlitz avaient été fort discrètes ? - et, partant, une avalanche de publications. Le tsunami masochiste passé, Libretto a la bonne idée de rééditer le Journal secret de Napoléon Bonaparte de Giuseppe Maria Lo Duca, épuisé depuis des décennies. Peut-être, quoique apocryphe, le livre le plus fidèle à son illustre auteur fictif, et, en tout cas, le petit chef-d’œuvre de son auteur réel.

Lo Duca (1910-2004), un Milanais qui a choisi la France, fréquenté les surréalistes, cofondé Les Cahiers du cinéma en 1951, écrit nombre de livres, sur la peinture et le septième art essentiellement. Et puis il y a ce Journal secret, préfacé par Jean Cocteau, lequel parle d’"un document unique", qui a donné "naissance à un monstre prestigieux", publié en 1948 par Jean-Jacques Pauvert en ses éditions, et qui fut salué en son temps par Breton, Bataille ou même Pagnol.

S’appuyant sur son incomparable érudition, et sa connaissance encyclopédique des textes laissés par ses deux héros, Lo Duca a décidé de croiser, avec celle de Napoléon Bonaparte, la destinée du très méconnu Antoine-Henri baron de Jomini (1779-1869), général et écrivain suisse qui servit dans les armées de Napoléon jusqu’en 1813, date à laquelle il passa dans le camp de la Russie, commandant ensuite les troupes russes contre les Turcs et revenant finir sa longue vie à Paris. Cet homme assez exceptionnel était un tacticien hors pair, une espèce de joueur d’échecs en réel que l’Empereur, qui est connu pour avoir eu la dent franchement dure avec ses généraux - "[Ney] moins bête que Murat, […] l’égalait en vanité, lui fait écrire Lo Duca en 1817, depuis Sainte-Hélène. La sottise des hommes de guerre se mesure à leur penchant à se prendre au sérieux" -, considérait comme son égal, voire son maître, en tout cas son continuateur. Une relation de proximité intellectuelle se serait instaurée entre eux, quand Jomini servait dans l’état-major de Ney, justement. Et le souverain déchu ne semble pas lui en avoir voulu de sa "trahison" - bien d’autres de ses proches ont changé de camp, à commencer par Bernadotte. La preuve : c’est à Jomini que Napoléon lègue et fait tenir, à sa mort, son Journal secret. Le "fils spirituel" reprendra la plume, et ajoutera ses propres pages, durant près d’un demi-siècle, à celles de son grand homme.

Voilà une belle curiosité littéraire et historique, nourrie de passages authentiquement écrits par les deux auteurs virtuels, servis par le talent et l’acuité d’analyse de l’auteur réel, ce Lo Duca qui mérite bien qu’on le tire de l’oubli. Jean-Claude Perrier

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