Distribution

Le grand chantier

L'entrepôt de la Socadis dans le nord de Montréal. - Photo FABRICE PIAULT/LH

Le grand chantier

Le 1er janvier au Québec, Hachette quittera la distribution Socadis (Madrigall) pour ADP (Québecor), et Interforum (Editis) abandonnera ADP pour la Socadis tout en créant sa propre équipe de diffusion. Un spectaculaire chassé-croisé qui inquiète les libraires à la veille des fêtes de fin d'année et contraint les quatre grands groupes à une collaboration inédite. _ par Fabrice Piault

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Par Fabrice Piault
Créé le 30.11.2018 à 00h00

Des cartons d'Interforum (Editis) qui jouxtent ceux d'Hachette : c'est la scène inattendue qu'on peut découvrir ces jours-ci dans les entrepôts de la Socadis à Ville-Saint-Laurent, dans le nord de Montréal. Les colis des deux grands groupes français se côtoient de même chez le principal concurrent de la filiale logistique de Madrigall au Canada, les Messageries ADP (Québecor) à Longueuil, au sud de la ville. Le 1er janvier 2019, Hachette et Editis s'échangent leur distributeur au Québec : Hachette Canada quitte la Socadis pour ADP, tandis qu'Interforum Canada fait le chemin inverse, créant au passage une équipe de diffusion dont il était jusqu'à présent dépourvu.

La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

Avec 48 000 titres vendus outre--Atlantique à au moins un exemplaire par an pour Hachette, et quelque 40 000 références actives (dont 15 000 issues de Volumen) pour Interforum, « c'est un gros chantier », admet Nicole Haguelon. La directrice générale de la Socadis assure qu'il n'est « pas si compliqué que ça. Dans la logistique, nous sommes habitués à préparer les choses à l'avance. » Mais le choix des deux grands groupes, qui ont annoncé leur décision simultanément en mai, de conduire le chantier pendant les fêtes de fin d'année, ne laisse pas d'inquiéter les libraires québécois.

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« C'est la plus mauvaise période pour changer », s'insurge Philippe Sarrasin, propriétaire de la librairie de Verdun, à l'ouest de Montréal. « Les libraires se demandent si les titres d'Hachette et d'Editis resteront bien disponibles pendant les fêtes, et si les prénotés de janvier, qui se font sans historique des ventes, seront bien honorés », explique la directrice générale de l'Association des libraires du Québec (ALQ), Katherine Fafard.

Pourquoi ?

A l'origine de ce grand chassé-croisé induit par la rupture de partenariats qui remontent à 1991 pour Interforum/ADP et à 1998 pour Hachette/Socadis, une « fêlure », selon le mot du P-DG d'Interforum, Eric Levy, qui s'implique directement depuis trois ans dans la mise en œuvre de cette réorientation stratégique. « Alors que nous venions, en 2015, de renouveler notre contrat de diffusion et de distribution avec Québecor, notre partenaire a vendu sans nous avertir la chaîne de librairies Archambault à son concurrent Renaud-Bray, précise-t-il. Il y a eu un choc, d'autant que - peut-être avions-nous mal écouté - nous avions plutôt compris le contraire ! » La crise de confiance a fait aussi ressurgir l'aspiration ancienne d'Interforum Canada à se doter, comme Hachette, d'une équipe de diffusion propre, et à ne plus sous-traiter que la distribution. C'est aujourd'hui chose faite puisque les équipes de la filiale sont passées de 10 à 17 personnes par l'embauche de 7 commerciaux. De son côté, ADP est amené à réduire ses équipes de vente.

Hachette et la Socadis sont plus discrets sur les raisons de leur rupture. De sources convergentes, la pression permanente d'Hachette pour obtenir de la filiale de Madrigall des conditions commerciales plus favorables ou, ce qui revient au même, la résistance de la Socadis à répondre à des demandes d'Hachette qu'elle jugeait excessives ont fini par fragiliser leur partenariat. L'émergence avec Interforum d'un nouveau client potentiel pour la Socadis a fait le reste. « Il y a eu un alignement de planètes », résume joliment Eric Levy

Comment ?

Dans tous les cas, « nous avons tous intérêt à ce que les transferts se déroulent sans heurts afin de ne pas perdre de ventes », observe le directeur général d'ADP, Charles Cusson. Un objectif répété comme un mantra par Hachette, Interforum, ADP et la Socadis. Hachette a fait appel à trois consultants distincts spécialisés dans la gestion des grands chantiers. La Socadis a créé une équipe « in » pour intégrer les fonds d'Interforum et une équipe « out » pour transférer ceux d'Hachette. Les deux diffuseurs et les quatre distributeurs ont mis le paquet pour éviter les couacs. Surtout, ils n'hésitent pas à travailler ensemble. Non seulement ils ont établi des protocoles sophistiqués de transfert mais, « pendant les deux mois d'été, la Socadis et ADP se sont téléphoné toutes les semaines et nous allons recommencer pour la fin de l'année », signale -Nicole Haguelon.

Les deux distributeurs ont coordonné les rotations de camions entre leurs dépôts respectifs (un par jour dans chaque sens pendant trois mois), de telle sorte qu'aucun ne fasse un trajet à vide. Le 16 novembre au Salon du livre de Montréal, ils ont détaillé ensemble devant une quarantaine de professionnels, dont une quinzaine de libraires, leur méthode pour relever les six principaux défis (notés des réassorts, prénotés, dépôts, retours...) de ce chantier hors norme.

Principe de base, chez Hachette comme chez Interforum : ne pas dégarnir le distributeur quitté pour alimenter le nouveau distributeur. Les libraires pourront se réassortir jusque vers le 20 décembre chez le premier, et commander dès le 2 janvier chez le -second. « Nous avons reconstitué, à partir du centre d'Hachette Livre à Maurepas (Yvelines), un stock neuf chez ADP », précise le directeur général d'Hachette Canada, Christian Chevrier. Dans le même esprit, après les transferts d'information entre les deux distributeurs entre Noël et le jour de l'an, ADP -acceptera dès le 2 janvier les retours de titres Hachette commandés chez Socadis, et celle-ci fera de même avec ceux d'Interforum commandés chez ADP. Les quatre opérateurs se sont donné jusqu'à la fin juin pour régler les problèmes résiduels.

« En théorie, tout va bien se passer », veut croire, côté libraires, Katherine Fafard. Mais elle demande « de la communication et de la transparence car, quand il y aura des ratés, c'est le libraire qui sera en face du client. Il doit pouvoir expliquer clairement les dysfonctionnements et ne pas en porter la responsabilité. »

Dimedia en outsider

Un autre chantier s'engagera cet -hiver autour de Dimedia, qui deviendra le 1er mai propriété commune des deux principaux éditeurs québécois indépendants, Québec/Amérique et -Boréal. « Les deux maisons affichent une belle complémentarité », se réjouit le -directeur général du Boréal, Pascal -Assathiany, qui veut faire émerger « un quatrième joueur à côté de Québecor, -Madrigall et Renaud-Bray » (voir encadré ci-contre). Dimedia perdra les fonds de l'ex-Volumen, qui seront au 1er avril diffusés par Interforum Canada et distribués par la Socadis, mais récupérera la diffusion-distribution de Québec/Amérique, aujourd'hui chez Socadis.

« Ce qui est magique avec Dimedia, plaide Caroline Fortin, vice-présidente de Québec/Amérique et future présidente du diffuseur-distributeur dont Serge Théroux restera directeur général, c'est qu'il repose sur un groupement d'éditeurs qui a vraiment l'industrie du livre québécois à cœur. »

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