Les premières lignes du Journal d'un prisonnier, qui paraît ce 10 décembre chez Fayard, sont une sorte de confession intime où Nicolas Sarkozy nous livre sa vie privée sur ce matin en famille avant de partir pour la prison de Paris La Santé : « Les voir tous unis, tellement remplis d’amour, et si préoccupés de bien faire, m’aurait fait monter les larmes aux yeux si j’avais eu le droit de me laisser aller. Carla était merveilleuse comme à l’accoutumée. Aussi forte qu’intelligente. […] Ne plus voir Carla au quotidien m’était aussi insupportable mais je m’interdisais de trop y penser. Si je défaillais, toute la solidité de l’édifice familial risquait de s’effondrer. […] J’étais si fier de cette famille recomposée, unie par l’amour et soudée dans l’adversité. »
Confession intime
Finalement, Carla viendra presque tous les jours à La Santé, comme aucune autre femme de personne détenue. Heureusement, Nicolas Sarkozy semble rapidement porté par la Providence : « Puisqu’il me fallait porter une croix, je devais tenter de le faire en m’élevant spirituellement. […] Je n’en ai fait la confidence à personne mais j’ai pensé, à ce moment précis de ma vie, que la prière pouvait être d’un précieux secours. […] J’avais à dessein emporté la magnifique biographie de Jésus-Christ écrite par Jean-Christian Petitfils. Chaque page m’inviterait à réfléchir, à donner du sens et à comprendre que sans doute rien n’arrivait par hasard ou n’était inutile. »
Et la première nuit de tomber à genoux pour prier dans une vision christique de sa propre personne : « Je n’en parlai à personne. J’en aurais été gêné tant ma pudeur est grande sur ce sujet. » Les milliers de lecteurs apprécieront donc cette confession intime.
Entre rupture et main tendue
Le premier message de Nicolas Sarkozy dans Le journal d’un prisonnier est politique. Nicolas Sarkozy acte une double rupture : avec Emmanuel Macron à qui il ne pardonne pas le retrait de sa Légion d’honneur et avec le front républicain en tendant la main à Marine Le Pen et au Rassemblement national.
Avec Emmanuel Macron, la scène semble irréaliste : alors que Nicolas Sarkozy s’apprête à entrer en prison pour avoir été condamné pour association de malfaiteurs, il est reçu par le président de la République qui aurait insisté pour le recevoir. Les choses commencent mal : « Je n’avais rien à lui dire et n’avais guère envie d’une discussion amicale avec lui. […] J’ai écouté sans être parfaitement convaincu, tant cette posture était à l’exact opposé de mon caractère qui me pousse toujours à préférer assumer et faire face. »
Le rendez-vous où Nicolas Sarkozy n’a rien à dire dure néanmoins deux heures. « Son inquiétude portait principalement sur ma sécurité en milieu carcéral. Il était bien temps de s’en préoccuper ! » Alors que le lendemain, Emmanuel Macron le rappelle pour lui dire qu’il doit changer d’établissement pour Meaux ou Réau où il existe des unités de vie familiale !
Réponse de Nicolas Sarkozy : « J’étais déterminé à être incarcéré à la Santé qu’elles qu’en soient les conséquences sur ma sécurité personnelle. » Comme chacun sait, il sera accompagné par deux officiers de sécurité. Mais il n’hésite pas à conclure : « Leur présence dans le milieu carcéral ajoutait un élément de plus à l’étrangeté de la situation qui m’était réservée. » Et d’affirmer de manière dramatique : « Mes futurs voisins seraient au choix des terroristes islamistes, des violeurs, des assassins ou des narcotrafiquants. »
« Cordon sanitaire factice »
En réalité, ses voisins seront essentiellement des personnes atteintes de troubles psychiatriques placées à l’isolement. Avec ce livre, Nicolas Sarkozy écrit le mot « Fin » à leur histoire : « J’avais décidé, en conséquence, de tourner la page de notre amitié sans pour autant entrer dans une opposition systématique à sa politique comme à sa personne. »
Après la rupture avec Emmanuel Macron, Nicolas Sarkozy acte sa main tendue à Marine Le Pen et au Rassemblement national. Il raconte sa conversation téléphonique avec Marine Le Pen quelques jours avant son incarcération qui lui pose sans ambages la question suivante : « "Votre voix porte sur l’électorat de la droite populaire, vous associerez-vous à un quelconque front républicain ?" Ma réponse fut sans ambiguïté : "Non, et de surcroît je l’assumerai en prenant le moment venu une position publique sur le sujet." »
Pour bien faire comprendre cette main tendue, Nicolas Sarkozy enfonce le clou : « Je pensais à la diabolisation dont beaucoup de ces femmes et de ces hommes sont victimes de la part d’une gauche qui n’a pas fait – c’est le moins que l’on puisse dire – la démonstration, dans mon affaire, de la même grandeur de sentiments ou de la même hauteur de vue. […] Mais les exclure du champ républicain serait une erreur et un contresens. Ils représentent tant de Français, respectent le résultat des élections et participent au fonctionnement de notre démocratie. Les considérer me semble aussi naturel que nécessaire. Tout autre comportement serait absolument incompréhensible pour des Français qui supportent de plus en plus difficilement les outrances de La France insoumise et le "cordon sanitaire factice" autour d’un Rassemblement national qui ne constitue pas un danger pour la République. »
Le message est sans ambiguïté. Après avoir été le fossoyeur de la V° République avec un exercice frénétique du pouvoir, il sera également celui du gaullisme, dont le costume a toujours été trop grand pour lui, pour s’offrir en sacrifice aux héritiers de Vichy et de l’OAS. Sans compter que le livre nous apprend qu’il était aussi prêt à recevoir les ambassadeurs en France de Trump et de Milei en prison, comme il le raconte avant de s’en raviser sur le conseil de ses avocats. Regrettant presque l’absence de ceux d’Orban et de Poutine. Jacques Chirac, qui le connaissait si bien, l’avait surnommé le traitre.
Le nouveau Dreyfus
Le second message de Nicolas Sarkozy est judiciaire. Tel Dreyfus, il est innocent et « pour tout observateur impartial et connaissant l’histoire, les concordances étaient stupéfiantes. L’affaire Dreyfus prospéra sur la base de faux documents. La mienne débuta sur la base du faux de Mediapart doublé des faux témoignages de Takieddine et du clan Kadhafi. Ces faits sont désormais avérés. Dreyfus fut d’abord dégradé devant le front des troupes. On lui retira ses galons et ses décorations. Je fus exclu de la Légion d’honneur devant le front de la nation […]. Dreyfus fut emprisonné à la prison de la Santé. »
La hardiesse de la comparaison laissera sans doute sans voix les historiens ; mais ce n’est pas le principal souci de Nicolas Sarkozy qui se vit à la fois en victime et en héraut. Il est désormais à la tête d’une croisade : « Le combat que je mène est beaucoup plus large que celui qui serait réduit à ma seule personne. Tous ceux qui exercent des responsabilités ou prennent des initiatives craignent désormais de se trouver en danger à tout moment tant les règles peuvent être bafouées et les limites du bon sens dépassées, jour après jour. Il existe en France, dans nombre de milieux, une minorité d’autant plus agissante qu’elle est peu nombreuse, qui poursuit un combat idéologique contre les politiques, contre la droite, et contre moi qui en suis le symbole. »
La meilleure défense étant l’attaque, Nicolas Sarkozy se jette ainsi à corps perdu au fil des pages dans ce combat pour l’État de droit. Tel Zola, il accuse : Ses juges : « Que dire du fait que j’ai été par deux fois jugé par des présidentes de tribunal et de cour qui avaient publiquement manifesté et pris clairement position politiquement contre moi ? » Ces juges, comme des centaines d’autres, avaient simplement manifesté leur soutien aux magistrats critiqués par Nicolas Sarkozy il y a près de 15 ans.
Le parquet : « Je notais d’ailleurs que le parquet n’était pas non plus satisfait du jugement puisqu’il en avait fait appel de la totalité. Il est vrai que le tribunal lui avait infligé un flagrant désaveu en balayant nombre de thèses de l’accusation, ce qui était une bonne chose dans la perspective du procès en appel. » En réalité, le parquet fait toujours appel sur la totalité d’un jugement quand les condamnés font appel.
Ce qui est sans doute le plus déconcertant à lire est la découverte que Nicolas Sarkozy fait après avoir tant loué les vertus d’un système pénal répressif : « Au fond, le processus judiciaire est fait, consciemment ou non, pour user, pour affaiblir et pour que, au bout de cette course d’obstacles, le prévenu se sente coupable. De quoi ? Cela n’a guère d’importance. Ce qui compte, c’est qu’il sente le rouleau compresseur de l’institution sur ses épaules. Faire profil bas est la stratégie, non pas que l’on vous conseille mais que l’on vous impose et que vous finissez même par vous imposer à vous-même. Dois-je préciser que ce sentiment était profondément douloureux à supporter, alors que j’étais innocent de ce que l’on était en train de m’accuser ? »
La cause est donc entendue : Nicolas Sarkozy est victime des juges, forcément de gauche, et il se battra contre eux avec toute la mesure qu’on lui connaît : « Que sont devenus les grands principes fondateurs de notre droit et de notre démocratie ? La présomption d’innocence, l’importance de la preuve, le doute qui doit bénéficier en toutes circonstances à l’accusé, l’impartialité des juges, le double degré de juridiction réduit à néant par l’exécution provisoire ? Toutes ces règles fondatrices de notre régime républicain n’ont cessé d’être bafouées tout au long de ces interminables douze dernières années. Cela a constitué une épreuve pour ma famille comme pour moi. Nous en avons souffert à chaque seconde, à chaque minute, à chaque moment. […] Et en bafouant mon innocence, on a abaissé la France. »
Certaines victimes de l’attentat du DC10 d’UTA qui a fait 170 morts ne semblent pas être du même avis. Mais Nicolas Sarkozy estime avec une rare élégance qu’elles n’ont plus droit à la parole sous prétexte qu’elles ont été achetées : « Il me paraissait difficile que l’on me reproche des relations diplomatiques avec le régime libyen alors que les familles de victimes de l’attentat avaient elles-mêmes négocié avec lui l’accord d’indemnisation à hauteur d’un million d’euros pour chacune. Parler avec les représentants de ce régime n’était donc pas répréhensible. »
Enfin, Nicolas Sarkozy termine sa plaidoirie tel un martyr après que l’aumônier catholique lui a lu un passage de la Bible : « "Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous… Réjouissez-vous car votre récompense est grande dans les cieux !" Je n’en étais pas à m’en réjouir. Mais l’Évangile de la Toussaint était parfaitement adapté à ma nouvelle situation. […] J’étais reconnaissant à ce prêtre de m’en donner lecture. Cela me fit du bien en m’obligeant à réfléchir aux conséquences de l’injustice que j’étais en train de vivre et à tous les bienfaits que je pourrais en tirer. » Décidément, face à ce cirque médiatique, les victimes de l’attentat du DC10 d’UTA devront boire le calice jusqu’à la lie.
Réquisitoire contre la prison
Ainsi, après avoir tant réclamé la prison pour les délinquants pendant toutes ses années de politique, Nicolas Sarkozy semble enfin la découvrir. Il en dresse un véritable réquisitoire : « Tout mon nouvel environnement respirait le malheur, la lourdeur, le désastre de vies brisées entassées entre ces murs, loin du monde des vivants. […] Aucun espace n’exprimait le plus petit espoir ou la moindre humanité. Je fus frappé par l’absence de toute couleur. Le gris dominait tout, dévorait tout, recouvrait toutes les surfaces. Le premier contact était rude. »
Tout au long du Journal d’un prisonnier, Nicolas Sarkozy livre ses découvertes en faisant cette étonnante confession seul dans sa cellule gardée en permanence par deux policiers : « J’avais plutôt moins de droits que les autres détenus. ». D’abord, il décrit sa cellule : « Douze mètres carrés. Un lit solidement fixé au mur par des plaques renforcées. Un petit bureau en bois clair, une douche, un réfrigérateur, une plaque chauffante, une télévision. Le tout dans la même pièce. Je me trouvais chanceux d’être seul. J’imaginais les autres détenus s’entassant parfois à trois ou quatre dans le même espace… » Et de réaliser : « Comment ne pas devenir neurasthénique quand on est contraint de demeurer 23 heures sur 24 dans sa cellule ? »
Ensuite, sur la nourriture : « Je ne crois pas avoir manqué grand-chose en déclinant le repas proposé dans de petites barquettes en plastique qui, sans faire injure à celui qui les avait préparées, n’étaient pas très attrayantes. […] Je n’y pouvais rien mais la vision de ces petites barquettes en plastique qui sentaient si fort me soulevait le cœur. Et que dire de la baguette molle et humide qui était proposée chaque jour au moment du déjeuner. » Sur le cantinage : « Les prix étaient chers, beaucoup plus chers qu’à l’extérieur. Je pensais avec ironie qu’il s’agissait presque d’un abus de position dominante. »
Concernant sa douche, Nicolas Sarkozy s’en moque sans savoir que d’autres n’ont même pas de douche en cellule ou doivent la partager à plusieurs sans intimité : « La cérémonie de la douche après le sport était particulièrement cocasse. Je n’avais jamais connu une installation plus incommode. Par la crainte sans doute qu’un détenu ne se pende, il n’y avait pas de pommeau mais seulement un petit filet d’eau qui coulait presque le long du mur. On ne pouvait se mettre au-dessous, il fallait essayer de se placer à la bonne hauteur juste en face. Mais ce n’était pas la seule difficulté. Le pire était que ce mince filet d’eau s’interrompait très vite, comme une minuterie. Il fallait sans cesse retrouver le bouton et le presser pour que l’écoulement de l’eau reprenne. Ainsi organisée, la douche prenait le triple du temps nécessaire en situation normale. […] Cela n’avait rien d’un drame mais participait de l’inconfort général. J’étais en prison. Je n’étais pas près de l’oublier. »
« Bienvenue en enfer ! »
Et de réaliser que « la violence la plus inhumaine était la réalité quotidienne de ce lieu dont on attend, à l’inverse, qu’il prépare à la réinsertion des délinquants. Cela me paraissait assez mal parti dans ces conditions. » Il parle également des bruits incessants en prison : « Ce vacarme a duré plusieurs minutes. Elles m’ont paru interminables. L’ambiance était menaçante. Bienvenue en enfer ! […] Je ne tardai pas à sombrer dans un sommeil agité. Les bruits de l’extérieur arrivaient dans ma cellule par vagues successives et continues. Cela s’apaisait puis enflait à nouveau. Cris, hurlements, insultes, menaces… J’avais le choix. »
Mais cette détention n’aura pas été complètement vaine car Nicolas Sarkozy est reparti avec une bonne résolution : « Je me fis la promesse d’avoir, à ma sortie, une parole désormais plus élaborée et moins caricaturale que celle que j’avais pu tenir dans le passé sur tous ces sujets. » Il était temps. Et de faire ce constat inquiétant : « L’étonnant, à mes yeux, n’était pas que l’affrontement ait eu lieu, mais qu’il n’y en ait pas eu bien davantage dans une prison dont le taux d’occupation était de 191 %. Comment cohabiter paisiblement et durablement avec un inconnu dans un espace aussi exigu qu’une cellule d’à peine dix mètres carrés ? Si on ajoute à cette réalité "géographique" le pedigree de violence des personnes enfermées, on réunit alors tous les éléments pour une explosion. » Pour combien de temps ?
Aux termes de cette odyssée, Nicolas Sarkozy s’est fait une promesse : « Si je sortais de cet enfer, j’irais à Lourdes voir les malades et les désespérés. Je passerais la journée avec eux et m’immergerais en leur compagnie dans les piscines du sanctuaire. Quelques mois auparavant, la lecture de Zola m’avait fait découvrir Lourdes, à laquelle il a consacré un livre magnifique. Cela m’a tellement aidé de penser à ceux qui souffraient bien davantage que moi. Je leur dois, à eux aussi, d’avoir pu tenir. »
Nelson Mandela a passé 9 375 jours en prison, Václav Havel 2 070 jours et Nicolas Sarkozy 21 jours. Ils ont tous les trois écrit un livre. Sans aucun doute celui qui restera dans la littérature mondiale est celui de Nicolas Sarkozy. Comme un magnifique pastiche de la vie de Jésus Christ et de Dreyfus à la manière d’Émile Zola. Aux grands hommes, la patrie reconnaissante.
Alexandre Duval-Stalla
Olivier Dion - Alexandre Duval-Stalla
Alexandre Duval-Stalla est avocat au barreau de Paris et écrivain. Ancien secrétaire de la Conférence du barreau de Paris (2005) et ancien membre de la commission nationale consultative des droits de l’homme, il est le président fondateur de l’association Lire pour en sortir, qui promeut la réinsertion par la lecture des personnes détenues, et du prix littéraire André Malraux.
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