Emilie Berto est la fondatrice et directrice de la librairie Pantagruel, à Marseille. - Photo Pantagruel
[Le libraire de l’année] Émilie Berto pour la librairie Pantagruel à Marseille (5/5)
Tous les jours cette semaine, Livres Hebdo présente l'un des candidats à l’élection du prix du libraire de l’année 2025, pour laquelle nos lecteurs sont appelés à voter. Aujourd’hui, Émilie Berto, fondatrice et dirigeante de la librairie Pantagruel à Marseille. Une actrice engagée en faveur de la diversité des voix et des récits.
Par
Élodie Carreira Créé le
29.05.2025
à 14h00, Mis à jour le 30.05.2025 à 07h19
Lorsqu’elle ouvre en 2016 dans le VIIe arrondissement de la cité phocéenne, la librairie Pantagruel vient combler une carence culturelle déplorée depuis une vingtaine d’années. Impulsé, à l’origine, par trois habitantes du quartier, le vaisseau littéraire continue de voguer, presque 10 ans plus tard, sous le commandement de l’une d’entre elles : Émilie Berto. Entourée d’une équipe de cinq libraires dont une nouvelle associée, Mathilde Rioni, la propriétaire entend bien continuer à défendre l’indépendance d’un lieu à l’engagement politique assumé.
Ce parti pris, Émilie Berto l’a longuement réfléchi. Ancienne journaliste au micro d’Europe 1, elle quitte la profession au bout d’une dizaine d’années, frustrée de ne pouvoir approfondir les sujets dans des chroniques millimétrées. « Il y avait ce côté déshumanisant dans le traitement de l’information, là où les livres transportent davantage de connaissances et apportent des éclairages bien plus profonds », analyse-t-elle.
Une création opportune
Après cinq ans à la communication d’une entreprise spécialisée dans le transport, Émilie Berto, véritable « petit rat de bibliothèque depuis toujours », décide finalement de créer sa propre librairie Marseille.
De gauche à droite et haut en bas : Mathilde Rioni, Emilie Berto, Juliette Gautier, Sakina Bengouta et Alice Karle. - Photo PANTAGRUEL
Pour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
« Le quartier n’avait pas connu de librairies depuis 25 ans. Cette création était donc opportune et surtout, elle a été très bien accueillie », relate la dirigeante. Dotée de 7 000 références réparties sur 65 m², la librairie mise beaucoup sur les rencontres et les ateliers – à raison de trois à quatre fois par semaine -, et a développé différents partenariats avec les commerces voisins.
Faire vivre l’échange et le collectif
« Une de nos problématiques consiste à faire venir les gens dans la librairie. Pour ça, il y a différentes façons de procéder. Nous, nous avons décidé de faire fonctionner la force de la communauté », explique Émilie Berto. En parallèle, la librairie a également créé son propre prix littéraire et participe chaque année au prix du Livre jeunesse organisé par Librairies du Sud avec la ville de Marseille.
Depuis 2022, une deuxième boutique, consacrée cette fois à la jeunesse et baptisée Le Petit Pantagruel, s’est établie à moins de 100 mètres du vaisseau amiral. Mais quel lien relie le fils de Gargantua, héros de Rabelais, à ces deux commerces ? « Pantagruel est un ogre boulimique, qui s’empiffre de tout sur son passage. C’est avec cette même voracité que nous dévorons les livres. Mais c’est aussi un personnage curieux, impertinent, qui remet beaucoup les choses en question, comme nous tâchons de le faire lors de nos événements comme en rayon », explique Émilie Berto.
« Face à des catalogues qui ne cessent de s’épaissir, il nous fallait prendre le temps »
Et pour cause : outre le vaste assortiment d’ouvrages féministes et queers, les lectures animées par des dragqueens, ou encore les clubs de lecture visant à faire découvrir (ou redécouvrir) des livres et auteurs invisibilisés, la librairie a participé cette année à la fameuse Trêve des nouveautés. Introduite en 2024 par l’Association pour l’écologie du livre, l’initiative consiste à suspendre, pour une période donnée, les commandes de livres.
« On le fait pour le côté écologique, pour éviter de créer des inégalités en termes de représentativité, mais aussi parce qu’aujourd’hui, face à des catalogues qui ne cessent de s’épaissir, il nous fallait prendre le temps de bien faire notre travail, de conseiller, de lire les ouvrages pour mieux les défendre », argue Émilie Berto, qui a privilégié des commandes de fonds et a constaté que le taux de retour est passé en dessous de la barre des 10%.
Indépendante et engagée
Engagée ? La librairie l’est et l’assume. Néanmoins, Émilie Berto a toujours voulu conserver le caractère généraliste de sa boutique, et permettre à tous les types de publics de s’y rendre. Jusqu’à cette fois, peut-être, entre les deux tours des élections législatives. Pour l’occasion, l’équipe du Petit Pantagruel avait mis en scène sur sa devanture, une poignée de peluches brandissant des pancartes de manifestation. Un décor qui lui a valu de voir sa vitrine cassée. Accident ou acte de vandalisme ? Si l’affaire n’a pas été élucidée, Émilie Berto a sa petite idée sur la question.
Mais en dépit de cette violente démonstration, la libraire a choisi son camp : « Dans une société qui se fracture de plus en plus, où tout est soit blanc, soit noir, nous choisirons toujours les échanges, les débats et la complexité. »
Le libraire de l’année 2025
Pour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
À l'approche de l’évènement de plus en plus incontournable pour les vendeurs de droits francophones qu’elle pilote, Claire Mauguière fait le point sur la 4e édition du Paris Book Market, qui se déroulera les 4 et 5 juin.
Maya Kandel tente de définir ce que sont la pensée et la gouvernance du 47e président des États-Unis. Un essai éclairant sur le trumpisme.
Parution 29 mai