Enquête

L’enquête de Jean-Baptiste Malet sur les conditions de travail chez Amazon devrait passionner libraires et éditeurs, confrontés à la concurrence et au poids grandissant de cet acteur de la chaîne du livre. A paraître chez Fayard le 2 mai (1), En Amazonie, infiltré dans « le meilleur des mondes » raconte le travail de nuit, dans le centre d’expédition de Montélimar (Drôme), à la veille des vacances de Noël. Vue de l’intérieur, la qualité de service si appréciée des clients s’obtient au prix d’une qualité de vie dégradée pour le personnel.

Reporter au magazine Golias, auteur d’enquêtes en infiltration sur l’extrême droite, Jean-Baptiste Malet s’est fait embaucher comme intérimaire, seule solution pour obtenir l’information nécessaire à son projet. Amazon refuse la visite de journalistes dans ses entrepôts, et ordonne à ses salariés, sous menace de licenciement comme le stipule le règlement intérieur, « de ne répondre à aucune question des médias ». Même les délégués syndicaux ont renoncé à témoigner, se sachant surveillés : une caméra est posée devant leur local, des « taupes » sont dans leurs rangs, et la délation entre salariés est encouragée, rapporte Jean-Baptiste Malet.

Embauché comme pickeur, il parcourait plus d’une vingtaine de kilomètres par nuit pour ramasser les produits commandés dans les rayonnages, avec un chariot et un scan. A la fois instrument de surveillance et d’organisation du travail, cet appareil transforme les salariés en robots. Si tout est déposé au gré de la place disponible dans les rayonnages du gigantesque hangar, chaque objet est aussi rigoureusement enregistré, de même que la productivité de tous. Les salariès doivent aussi supporter diverses mesquineries, depuis les strictes consignes de garage de leur véhicule dans le parking, jusqu’à la pointeuse implantée à l’entrée de l’espace de travail, à plus de dix minutes de l’entrée, ce qui génère « une économie de six mille deux cents heures » par mois non payées par Amazon. L’hiver dernier, raconte Jean-Baptiste Molet il a fallu une grève de la dizaine de syndiqués, relayée par la presse, pour que le chauffage soit allumé dans l’entrepôt. Tous les salariés étant soupçonnés d’être des voleurs potentiels de la montagne de marchandises en stock, le service de sécurité se comporterait comme une « milice arrogante et méprisante ».

Si Amazon veille à accorder quelques menues faveurs et entretient une familiarité informelle via le tutoiement de rigueur, c’est surtout l’éventualité d’un CDI qui entretient la docilité dans une région minée par le chômage. « Entre Amazon ou rien, autant prendre Amazon », admet une intérimaire fataliste. « Ce boulot chez Amazon, faut dire la vérité comme elle est, quoi… C’est vraiment de la merde », ajoute un autre désabusé. Hervé Hugueny

 

 

Jean-Baptiste Malet, En Amazonie, infiltré dans « le meilleur des mondes », Fayard ; 168 p., 15 euros. Tirage 14 000 exemplaires, ISBN : 978-2-213-67765-1.

17.10 2013

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