Édition

Le nouveau doc est arrivé

Sophie de Closets, P-dG de Fayard. - Photo Olivier Dion

Le nouveau doc est arrivé

Avec Inch'allah : l'islamisation à visage découvert, lancé le 22 octobre, Fayard inaugure un concept éditorial inédit fondé sur une longue enquête de cinq étudiants en journalisme sous la direction des journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme. _ par Isabel Contreras Isabel Contreras

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Par Isabel Contreras,
Créé le 16.10.2018 à 18h33

C'est l'histoire d'un projet éditorial inédit, qui accompagne un transfert. Gérard Davet et Fabrice Lhomme ont été édités chez Stock par Jean-Marc Roberts de 2011 jusqu'à son décès en 2013. Les deux journalistes d'investigation du Monde, auteurs du best-seller sur François Hollande, Un président ne devrait pas dire ça, ont décidé fin 2016 de passer chez Fayard. « Nous avons eu besoin d'un nouveau départ, de nous remettre en danger, expliquent les deux journalistes. Le hasard a voulu que nous rencontrions la P-DG de Fayard, Sophie de Closets, avec qui le coup de foudre amical et professionnel a été immédiat. » Gérard Davet et Fabrice Lhomme assurent qu'il n'y a pas eu de motivation financière pour changer de maison d'édition. « Stock verse plus dans la littérature que dans le document. Nous n'aurions jamais pu proposer chez eux un projet comme Spotlight », estime Gérard Davet.

De g. à d. : Romain Gaspar, Hugo Wintrebert, Ivanne Trippenbach, Fabrice Lhomme, Célia Mebroukine, Charles Delouche et Gérard Davet.- Photo OLIVIER DION

Spotlight. Le terme signifie « projecteur » en anglais. Il fait référence à la cellule d'investigation du quotidien américain Boston Globe qui, en 2002, a révélé le scandale des prêtres pédophiles aux Etats-Unis. L'affaire a été popularisée en 2015 par le film Spotlight dirigé par Tom McCarthy. Enseignants au Centre de formation des journalistes (CFJ) à Paris, Gérard Davet et Fabrice Lhomme avaient envie de se lancer dans un projet pédagogique qui les engagerait pour une durée supérieure aux quelques semaines de cours qu'ils dispensent chaque année. S'inspirant du procédé mis en place par les journalistes américains de la cellule Spotlight, ils proposent à Fayard un ouvrage écrit à sept. Une enquête réalisée, sous leur direction, par cinq étudiants du CFJ.

Un sujet inflammable

Pour ce projet pilote, le sujet proposé par les deux enquêteurs, connus pour leurs livres à révélations politiques détonantes, est, sans surprise, inflammable : l'islamisation rampante en Seine-Saint-Denis. « Des capteurs nous avaient mis sur la piste. Des amis, des policiers mais aussi des procureurs avaient repéré des signes inquiétants. Nous nous sommes dit : allons voir », explique Fabrice Lhomme. Le CFJ accepte l'idée et allège le programme de cours de cinq étudiants triés sur le volet : Ivanne Trippenbach, Célia Mebroukine, Romain Gaspar, Hugo Wintrebert et Charles Delouche.

Fayard fait alors signer un contrat de collaborateur à chaque étudiant et les dédommage de 1 000 euros pour couvrir leurs dépenses engagées dans le cadre de l'enquête. Hors un à-valoir, Gérard Davet et Fabrice Lhomme travaillent bénévolement pendant les neuf mois qui suivent. Neuf mois pendant lesquels les sept membres de la « cellule d'investigation » se réunissent au moins une fois par semaine « pour faire le point », chez les deux enquêteurs, dans des cafés ou... dans un appartement loué une semaine aux frais de Fayard à Sevran. Les étudiants engrangent les informations et construisent leur enquête à partir des règles dictées par Gérard Davet et Fabrice Lhomme : les interlocuteurs doivent assumer leurs propos et ne peuvent donc pas apparaître dans le livre sous couvert d'anonymat. Les citations ne peuvent pas être soumises à une relecture.

« Nous sommes là pour décrire des faits, pas pour les commenter ni pour faire de la sociologie », précise Gérard Davet. Cette restitution des faits dans un livre a été toutefois compliquée à mettre en œuvre avec les étudiants. « Gérard et Fabrice ont eu l'impression que nous avions peur du sujet et, de ce fait, que nous souhaitions le nuancer. [...] De notre côté, nous ne voyions pas les choses de cette manière. Nous n'avons pas voulu nuancer mais ajouter des informations afin d'aller au-delà des apparences », défend avec fermeté Ivanne Trippenbach. « Il se trouve que nous débutons dans le journalisme, nous savons que ce livre va faire notre réputation », ajoute Hugo Wintrebert, un autre coauteur.

Débats houleux, moments de découragement, relectures nocturnes... Tout a été filmé par les caméras de La Chaîne parlementaire pour un documentaire, La plume dans la plaie, qui sera diffusé le 17 octobre, quelques jours avant la parution du livre, le 22. Celui-ci s'organise en 21 chapitres incarnés par des habitants de Seine-Saint-Denis. Leur histoire, leur parcours sont complétés par des données collectées tout au long de l'enquête menée à partir de plus de 200 interviews. L'unité du récit, rédigé sur un ton efficace, est apportée par les deux journalistes du Monde. « C'est l'enquête des étudiants. De notre côté, nous l'avons mise en scène et rendue bankable, sexy, le but est de vendre le livre. Nous ne caricaturons pas, même si la vérité peut, parfois, paraître caricaturale », assume Fabrice Lhomme.

Un énorme investissement humain

Chez Fayard, Sophie de Closets se montre satisfaite du résultat mais aussi de l'investissement humain et des liens de confiance qui se sont tissés tout au long des neuf mois. « Ce livre a aussi été un nouveau moyen de recruter et de fidéliser une nouvelle génération d'auteurs », se réjouit l'éditrice, « prête à toutes les audaces », se félicitent les journalistes du Monde. La P-DG de Fayard se dit d'ores et déjà partante pour signer un nouveau spotlight avec les deux enquêteurs, qui souhaiteraient, eux aussi, recommencer. En revanche, si un deuxième projet voit le jour, les règles du jeu devront être modifiées. « Il faudra trouver plus de finances et d'infrastructures, l'investissement humain a été énorme », fait valoir Fabrice Lhomme. Si Inch'allah : l'islamisation à visage découvert devient un succès commercial, le couple d'enquêteurs assure qu'il ouvrira une discussion avec Fayard pour le versement d'une prime aux étudiants, désormais journalistes puisqu'ils sont diplômés du CFJ depuis juin dernier.

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