30 août > Essai France > Camille Laurens

Une fillette en tutu de gaze, figée dans une pose de repos, sans sensualité ni grâce, les bras tirés en arrière, le nez en l’air…, l’image de La petite danseuse de quatorze ans d’Edgar Degas accompagne depuis très longtemps Camille Laurens, qui s’essaie ici à une forme qui ne lui est pas familière : la non-fiction. La romancière part sur les traces de la célébrissime statuette de cire d’à peine un mètre de haut représentant Marie Geneviève Van Goethem, une très jeune fille pauvre, petit rat à l’Opéra de Paris, et qui fut exposée pour la première fois sous une cloche de verre en avril 1881 à Paris, livrée aux jugements horrifiés et féroces de la majorité des visiteurs. Devant la polémique, Degas ne montrera plus jamais cette œuvre qu’il remaniera dans le secret de son atelier. Les vingt-deux moulages de bronze, dont un est visible au musée d’Orsay, ne furent réalisés à partir de la version originale qu’après la mort de Degas en 1917.

Camille Laurens enquête, interroge le statut particulier de cette œuvre, sa scandaleuse modernité. Questionne les intentions de son créateur, artiste paradoxal, "bon bourgeois, connu pour sa rigueur janséniste", qui s’est pourtant passionné pour ce milieu interlope qu’était l’Opéra de Paris au XIXe siècle. Cet artiste briseur de tabous, "plus réaliste qu’impressionniste", qui, en sculptant cette ballerine adolescente si loin des canons esthétiques de l’époque, souhaitait, avance l’écrivaine, "susciter un choc salutaire qui ouvre la conscience du spectateur en lui présentant non pas une œuvre élégante destinée à flatter son goût esthétique mais le drame d’une société, auquel il contribue". Car c’est surtout elle, la jeune modèle, petit forçat de la danse, adolescente exploitée et miséreuse, prostituée par sa mère et dont la trace disparaît après son renvoi de l’Opéra en mai 1882, que la romancière piste et cherche à connaître. "Revenir à elle, au plus humble d’elle" dont on ne sait presque rien. La petite danseuse, corps et âme, véritablement sujet et non seulement sculpture, à qui l’écrivaine est intimement attachée. A partir du 28 novembre, l’exposition "Degas Danse Dessin. Un hommage à Degas avec Paul Valéry", au musée d’Orsay, prolongera cet hommage personnel à une héroïne oubliée de l’histoire de l’art.

V. R.

Les dernières
actualités