20 septembre >Enquête littéraire France > Evelyne Bloch-Dano

Détective littéraire, Evelyne Bloch-Dano s’est fait une spécialité d’aborder quelques grands écrivains (Zola, George Sand, ou Proust, déjà), "par la bande", un petit bout de la lorgnette, modeste certes, mais ô combien révélateur. Cette fois, travaillant dans le plus grand secret afin d’éviter qu’un autre proustologue ne lui chipe cette bonne idée, et bénéficiant de complicités amicales et d’heureux auspices, elle a mis la main sur le fameux "questionnaire de Proust", sur lequel elle a mené une enquête serrée, sérieuse, et assez convaincante quant à l’éclairage que ce document apporte sur le futur écrivain, encore adolescent mais déjà bien différent de ses camarades des deux sexes. Ça s’appelle le génie et, a posteriori, ça se diagnostique assez tôt.

Evelyne Bloch-Dano s’attache, en bonne pédagogue, à tordre le cou à quelques idées reçues. D’abord, ce questionnaire était deux. L’un, le plus connu, les "Confessions", a été rempli par Marcel Proust en 1887, au Havre. Il avait 16 ans. L’autre, "Les confidences de salon", sans doute en 1894. Ensuite, Proust n’en est pas l’inventeur, mais simplement l’un des "scripteurs", parmi une quarantaine d’autres, principalement des jeunes filles en ce qui concerne les "Confessions", avec ses questions en anglais. On était entre soi, jeunes gens cultivés de familles bourgeoises qui se connaissaient et se recevaient, se fréquentaient. D’ailleurs, le premier album, celui des années 1880, appartenait à Antoinette Faure, la fille cadette de Félix, armateur, négociant puis homme politique havrais d’adoption, qui sera élu président de la République en 1895. Et mourra à l’Elysée, dans les scabreuses circonstances que l’on sait.

L’enquêtrice a identifié une vingtaine de signataires des "Confessions", où Proust a sans doute puisé des modèles partiels de ses "jeunes filles en fleurs", tous les personnages de la Recherche, ainsi qu’il l’a expliqué lui-même, étant composites. C’est passionnant, tout comme la façon dont elle reconstitue ce qu’était Le Havre au XIXe siècle et au début du XXe.

Quant à Proust et à ses réponses, elles sont bien sûr révélatrices, et différentes de celles des autres garçons de son âge. On y sent sa fragilité, sa peur panique de ne pas être aimé, sa maturité aussi, et cette hypersensibilité "féminine". Son attirance pour les garçons, aussi, déjà, qui remonte à son premier grand amour, Jacques Bizet, le fils du compositeur. Un voyou, et qui ne l’aimait pas. Tout Proust est là, déjà. J.-C. P.

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