22 août > Roman France

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Le ciel pour couverture et la terre pour oreiller, tel est l’idéal du lettré chinois qui s’abreuve de vin et de poésie. L’aspiration au dénuement, le narrateur du dernier livre de Yannick Haenel la ressent également. L’homme de 40 ans qui travaille en banlieue cesse un jour toute activité, décide de troquer sa vie de salarié saumâtre contre le vide d’une existence sans attaches. Ce vide, le suicidé social l’appelle « l’intervalle », un sentiment indescriptible entre « bouffée de joie », « déchirure » et « immense souffle ». « Est-ce que ça étouffe, est-ce que ça délivre ? Les deux : c’est comme si vous tombiez dans un trou et que ce trou vous portait. » Peu lui chaut le confort. Il vit désormais dans une voiture, même pas la sienne, celle prêtée par un copain parti en Afrique. Ses journées, il les déploie en errances alcoolisées dans le XXe arrondissement de Paris - Belleville, Couronnes et Père-Lachaise. Et parfois en lectures : Les rêveries d’un promeneur solitaire de Rousseau, En attendant Godot de Beckett trouvé dans la boîte à gants de son véhicule, un essai de Marx sur la Commune traînant à la piscine où il se rend régulièrement pour se laver… Le bouquin appartient à une excentrique Polonaise surnommée la Reine de Pologne qui ne se baigne pas faute de savoir nager. Quand il l’aborde dans la rue pour le lui rendre, ce n’est pas le coup de foudre de la fleur de l’âge mais l’urgence des naufragés au mitan de leur vie. Sex, vodka & anarchy ! Ces deux-là font l’amour sur les tombes du cimetière du Père-Lachaise…

Au cours de ses pérégrinations, le héros découvre un renard pâle sur une fresque dans un bistro. On l’informe qu’il s’agit d’une divinité qui, selon un mythe dogon, sème la zizanie dans le monde. Plus tard c’est un étrange symbole en forme de poisson sur un mur qui l’interpelle, ainsi que des slogans : « La société n’existe pas », « La France, c’est le crime », « l’identité = malédiction ». Son amante polonaise n’est pas surprise, elle l’introduit dans le milieu vaudou parisien. Un griot lui parle du renard blanc, dieu du chaos. Et le nomadisme de virer en projet de révolution sous l’égide du goupil. Mais la révolution était là au départ, dans la puissance poétique du rien de « l’intervalle ». Battre le pavé, c’est déjà tout un programme, comme le dit si bien Walter Benjamin cité en épigraphe : « Vaincre le capitalisme par la marche à pied. »

Sean J. Rose

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