Le sillon profond de l’édition d’érudition

"L’édition académique ne se porte pas si mal si elle s’ouvre et se dote d’outils adaptés. Il n’y a aucun misérabilisme à avoir."Lucie Marignac, Rue d’Ulm - Photo Olivier Dion

Le sillon profond de l’édition d’érudition

Confrontées à l’érosion de leur lectorat, les maisons d’édition spécialisées dans la recherche s’adaptent. La vulgarisation et les ressources numériques offrent des débouchés souvent nécessaires, mais qui n’ont pas vocation à dénaturer leur identité profonde.

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Par Charles Knappek,
avec Créé le 30.09.2016 à 13h30

L’édition d’érudition va bien, merci pour elle. Voilà en substance ce que répondent les éditeurs du secteur quand on les interroge. "L’année a été stable du point de vue des ventes en librairie, indique Lucie Marignac, directrice de Rue d’Ulm. En revanche, le numérique est en forte croissance grâce aux plateformes payantes." La maison travaille avec un grand nombre d’acteurs (Numilog, Cyberlibris, Cairn, OpenEdition, Numérique premium…) qui pèsent désormais 12 % de ses revenus globaux. "C’est parfois lourd de gérer des partenaires qui n’ont pas tous les mêmes modalités de fonctionnement, mais c’est un vrai plus pour la diffusion, surtout dans les pays de la francophonie qui sont très mal couverts avec le papier", ajoute Lucie Marignac. Pour cette rentrée, les éditions Rue d’Ulm publient dans la collection "Cepremap" une enquête sur les classes préparatoires scientifiques intitulée "Filles + sciences = une équation insoluble ?" Typiquement le genre de livre qui peut intéresser un lectorat élargi. "L’édition académique ne se porte pas si mal si elle s’ouvre et se dote d’outils adaptés, souligne Lucie Marignac. Il n’y a aucun misérabilisme à avoir."

"L’idée est vraiment de rendre les sciences intelligibles au plus grand nombre."Blandine Genthon, CNRS Éditions- Photo OLIVIER DION

Développer la vulgarisation scientifique

Chez CNRS éditions, la directrice générale Blandine Genthon revendique un CA en progression de 8 % pour le dernier exercice disponible. Depuis sa prise de fonction en juillet 2015, l’éditrice s’efforce de développer la vulgarisation scientifique sur le même modèle que ce qui a déjà été réalisé avec un certain succès en SHS. Pour ce faire, CNRS éditions lance une collection de synthèses didactiques intitulée "Numérisciences" dont le premier titre, Le cerveau cognitif, a paru le 9 septembre. En parallèle, la maison annonce des livres hors collection, par exemple un Dictionnaire historique de la langue scientifique arabe, et complète son offensive par la publication semestrielle du livre-magazine Carnets de sciences dont le premier numéro est annoncé pour novembre et ne sera commercialisé qu’en librairie. "L’idée est vraiment de rendre les sciences intelligibles au plus grand nombre", résume Blandine Genthon, qui veut voir progresser la part des publications scientifiques dans un catalogue dominé aujourd’hui à 80 % par les SHS. Mais ces dernières ne sont pas négligées pour autant. La collection de poche "Biblis" continue d’être alimentée à raison d’une trentaine de titres par an, dont beaucoup en histoire.

Aux éditions de l’Ined, qui publient moins de dix ouvrages par an, la directrice Agnès Belbezet, entrée en fonction en août 2015, a amorcé la refonte de la collection "Classiques de l’économie et de la population" et en a extrait une partie des titres pour lancer une nouvelle série intitulée "Etudes & enquêtes historiques". Les éditions de l’Ined n’ont pas les mêmes moyens que d’autres éditeurs publics, mais elles ambitionnent aussi de toucher un lectorat plus large. C’est dans cette optique notamment qu’elles viennent de publier Gouverner les mœurs : la lutte contre l’avortement en France (1890-1950). "Ce genre d’ouvrage mérite d’être diffusé plus largement", estime Agnès Belbezet. Le basculement vers les plateformes numériques est également à l’étude. Pour le moment, les éditions de l’Ined sont exclusivement distribuées au format imprimé.

Du côté de l’édition privée, le contexte est différent, même si le secteur n’a pas été épargné par l’érosion des ventes. "Les tirages ont été réduits par 10 en vingt ans. Aujourd’hui, ils dépassent rarement 400 exemplaires", raconte Isabelle Malaise, directrice des éditions De Boccard, éditeur spécialisé dans l’histoire ancienne et l’archéologie qui publie autour de 25 titres par an. Pour De Boccard, contrairement aux éditeurs publics, il n’est pas question de quitter le domaine de l’érudition pure même si à la marge quelques-uns de ses titres peuvent se retrouver dans les rayons des librairies universitaires. La marque vend plus de la moitié de sa production à l’export et tire l’essentiel de ses revenus de son activité de diffusion-distribution pour une soixantaine d’autres éditeurs, majoritairement publics, avec une moyenne de 300 titres par an. Elle tient aussi une librairie rue de Médicis (à Paris 6e). En 2015, son CA a progressé de plus de 3,5 % et il repose très largement sur le papier. "Beaucoup d’éditeurs publics veulent développer une offre grand public, mais ils se tournent vers des gens comme nous pour la diffusion de leurs titres les plus pointus, décrypte Isabelle Malaise. C’est un vrai savoir-faire. Nous travaillons sans office, nous ne faisons pas de mises en place massives, nous nous adressons aux chercheurs et aux institutions de recherche de France et du monde entier par l’export, dans une proportion équivalente." Dans les rayons des librairies généralistes où ses titres sont parfois mis en place, Isabelle Malaise signale le succès - à leur échelle - des collections de semi-poche comme "Titre courant" chez Droz ou des classiques de l’Ecole française de Rome. Sur le front du numérique, De Boccard est bien présent sur quelques plateformes comme Persée, JStor ou OpenEdition, mais celles-ci "rapportent peu" à l’heure actuelle. d

30.09 2016

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