L'effervescence éditoriale post-Covid est définitivement retombée. Tempérée par la mine morose du monde du livre et par une conjoncture économique crispée, la librairie renoue avec une activité plus timide, d'après le classement 2024 de Livres Hebdo (retrouvez en document lié nos classements par groupes de librairies, par marché belge et suisse, ainsi que le tableau complet des 400 librairies françaises du classement).
Prolongeant la tendance amorcée en 2023, cette évolution n'a toutefois pas engendré de détérioration significative sur un marché qui maintient des niveaux supérieurs à ceux de 2019. En effet, parmi les 400 librairies qui composent le classement annuel, 152 enregistrent une baisse de leur chiffre d'affaires, soit 43 de moins que l'année dernière. Si en 2024, cinq librairies dévissent de plus de 30 % contre deux en 2023, seules trois enseignes souffrent d'une baisse de plus de 20 % de leurs revenus (contre cinq en 2023), tandis que 25 d'entre elles ont subi une perte au-delà de la barre des 10 % (contre 31 en 2023).
Résistance face aux défis
Preuve de la remarquable résilience de ce maillon essentiel à la chaîne du livre qui, en dépit de nombreux signaux défavorables tels que la hausse des fermetures de librairies (12 de plus qu'en 2023), l'augmentation de leurs charges fixes, l'érosion du portefeuille des Français ou encore le développement des ventes en ligne, se maintient. Certaines enseignes affichent même des performances particulièrement encourageantes. L'espace Cazes-Bonneton au Puy-en-Velay (Auvergne-Rhône-Alpes), franchise du groupe Fnac, connaît ainsi une croissance exceptionnelle de 39,6 %, à l'instar de la librairie Autrement Saint-Pierre à la Réunion (+ 27,9 %), La Fontaine Luberon à Apt (+ 23,8 %), Mot à mot à Pertuis dans le Vaucluse (+ 20 %) ou l'établissement Folies d'Encre à Raincy, en Seine-Saint-Denis (+ 29,3 %).
Quant au top 10 du classement, celui-ci reste sensiblement le même, avec un podium inchangé. La librairie Gibert Joseph du boulevard Saint-Michel à Paris affirme une fois de plus son statut de leadeuse, malgré un chiffre d'affaires (ventes de livres uniquement) en légère baisse (il est passé de 35,9 millions d'euros en 2023 à 35,6 en 2024 soit une érosion de 0,9 %). Derrière elle, l'institution bordelaise Mollat conserve sa place de numéro deux (+ 0,3 % de CA de 2023 à 2024). La librairie Amalivre, elle, continue d'occuper la troisième marche du podium bien que ses revenus subissent un certain essoufflement (-2,7 %).
De son côté, la coopérative SavoirPlus à Brissac maintient son 4e rang, devant la librairie Ombres blanches à Toulouse qui gravit cette année trois échelons, s'emparant de la 5e position. Dialogues à Brest rétrograde au 6e rang, repoussant la librairie strasbourgeoise Kléber une place derrière. Cufay, enseigne abbevilloise spécialisée dans les contenus pédagogiques, s'invite au 8e rang, talonnée par le Hall du livre à Nancy, qui progresse d'un cran tandis que Le Failler à Rennes gravit quatre échelons pour clôturer le top 10, évinçant par là même Le Grand Cercle 95 à Cergy-Pontoise.
Troubles dans le genre
Cela dit, toutes les enseignes ne sont pas épargnées par l'atterrissage de l'engouement post-pandémie. Les librairies de musées, qui avaient jusqu'ici enregistré de solides performances grâce à une reprise spectaculaire de la fréquentation des musées en France, subissent cette année un déclassement pour le moins brutal. La librairie du musée Picasso voit ainsi son chiffre d'affaires chuter de 33,1 % alors qu'elle bénéficiait, entre 2022 et 2023, d'une hausse exceptionnelle de + 221 %. Même constat pour les établissements rattachés au musée de l'Orangerie (-25,1 %), à l'Hôtel de la Marine (-29,6 %), ou encore ceux du groupe Arteum, tels que la librairie du musée du quai Branly-Jacques Chirac (-13,7 %), du musée de l'Armée (-12,8 %) ou de la Cité des sciences et de l'industrie (-13 %).
Le tassement affecte également les librairies spécialisées en bande dessinée, symptôme d'une perte de vitesse généralisée du secteur (-8 % des ventes en 2024 après un recul de 11 % en 2023), depuis que l'intérêt pour la romance a outrepassé celui pour le manga. Ainsi, la librairie Esprit BD à Clermont-Ferrand accuse un fléchissement de 13,3 %, la librairie Bulle au Mans ralentit de 11 %, tandis qu'Aventures BD à Dunkerque perd 8,4 % de son chiffre d'affaires.
Bien que modéré, ce phénomène de repli n'épargne pas non plus les groupes. Si la Fnac domine toujours le classement des grandes enseignes, elle dévisse toutefois de 1,43 %. Suivent, comme l'année passée, les groupes Leclerc (+ 2,58 %), Cultura et Nosoli, ce dernier ayant été marqué par plusieurs fermetures contraintes de magasins. En dépit de pertes oscillant entre 3 et 5 %, Maison de la Presse se maintient une fois de plus à la 6e place, suivi de près par Gibert Joseph, qui conserve le 7e rang. Payot, Madrigall, Relay France et Savoirs Plus affichent une régularité constante, situés respectivement de la 9e à la 12e position.