Photo © ULF ANDERSEN

Chez nous, les fils ne font pas comme leur père", résume Alexis Lecaye lorsqu'on lui demande de retracer son parcours, plutôt peu commun. Auteur d'une trentaine de livres dont une majorité de romans policiers, scénariste, producteur et réalisateur de films pour la télé, son nom reste attaché à la série Julie Lescaut, qui fait encore, depuis vingt ans, les belles soirées de TF1. A l'époque, c'était, pour lui, comme un quitte ou double.

Lecaye avait alors 40 ans. Lesté d'une maîtrise d'histoire sur "Les censiers de l'Ancien Régime dans le Vexin du XVIe au XVIIIe siècle", sous la direction de Georges Duby, il avait d'abord fait nombre de petits boulots. Dont, grâce à ses amis Todd père et fils, critique de "littérature de genre" au Monde des livres. "Un papier par mois, ça ne nourrissait pas son homme, dit-il, mais, moi qui étais depuis tout gosse un lecteur boulimique, recevoir des tas de livres gratuitement m'enchantait. Et puis ce travail m'a préparé à l'écriture." En effet.

Après un essai sur la science-fiction, Les pirates du paradis, >publié chez Denoël en 1981 et "assassiné par la critique anglo-saxonne », il s'était lancé dans le roman. En 1980 paraissait chez Robert Laffont La dissolution, polar nourri de sa jeunesse estudiantine au Parti communiste français. Il y avait adhéré en 1968, "par esprit de contradiction, alors que tous mes copains étaient trotskistes", et l'avait quitté en 1974, parce qu'il ne supportait plus l'embrigadement et les "petits chefs". Jean-François Revel en fit ses délices, avec des bonnes feuilles dans L'Express, mais les ventes ne décollèrent pas. Aussi, lorsque Lecaye proposa à son éditeur, l'année suivante, un Marx et Sherlock Holmes, se fit-il "jeter » ! Le roman sera accepté chez Fayard.

Ensuite, installé avec femme et enfants dans un petit village du Vexin, il enchaîne les romans policiers, historiques ou contemporains, ses deux genres de prédilection. Il se taille une réputation auprès de quelques amateurs, mais le succès ne vient toujours pas, et les fins de mois sont hasardeuses.

Alors, en 1990, stimulé par l'urgence, Alexis Lecaye imagine le personnage de Julie Lescaut, une jeune femme flic aux Mureaux (rebaptisé Les Clairières-sur-Seine), confrontée à la violence, au racisme, avec une vie privée pas toujours heureuse. "Pour l'époque, se souvient l'auteur, c'était très moderne." Il lui consacre d'abord un roman, qui sort au Masque. Puis en tire un synopsis, qu'il propose à TF1. Jackpot ! Apparue à l'écran au début de 1992, Julie Lescaut, incarnée par Véronique Genest, enchaîne les épisodes, treize à la douzaine. Et devient "une légende". Lecaye écrit ou dirige l'écriture durant plusieurs années, puis il passe la main. "Je me suis beaucoup amusé, raconte-t-il, j'ai gagné pas mal d'argent, et j'ai appris le métier de scénariste. Mais je n'ai jamais cru que cela durerait toujours."

« Un traître »

En revanche, il a acquis une aisance qui lui permet enfin de travailler tranquille. De retour à Paris, alors que ses romans publiés durant son aventure audiovisuelle avaient été écrits avant, il se lance dans la série des Dames : coeur, pique, carreau, trèfle. Quatre polars "féminins" parus au Masque de 2003 à 2011, et auxquels il compte ajouter bientôt une Dame d'atout. En attendant, il glisse aujourd'hui Loup y es-tu ?, un thriller qui était à l'origine un scénario. "Expérience nouvelle", selon son auteur, cette espèce d'autonovélisation convie le lecteur à se situer en fonction des points de vue des différents protagonistes.

Pour la suite, on verra. Alexis Lecaye, "breton par hasard", fils d'une mère artiste - assez fantasque en matière d'éducation puisque ses quatre enfants n'ont jamais été scolarisés -, descendant d'immigrés russes et d'un père médecin, Libanais d'Alexandrie, a pas mal bourlingué dans sa jeunesse. Il a vécu en Egypte jusqu'au putsch de Nasser, et il a fait en 1970, alors qu'il était encore au PC, un tour de la Russie en 2CV avec deux copains. Et beaucoup travaillé pour la télé, qu'il préfère au cinéma.

Devenu aujourd'hui "casanier", ce fan de Manchette et de Simonin - plutôt que de "la tendance gauchistepost-soixante-huitarde" - ne se lasse pas du roman policier, qui, à ses yeux, "englobe toute la littérature ». Et offre toutes les libertés, à condition de ne pas forcer sur "les effets de style". "Je déteste les gens qui ont besoin d'exister au détriment de leur oeuvre", lance-t-il. Et tant pis s'il n'a jamais eu de prix, si, à cause de Julie Lescaut, les ayatollahs du polar le considèrent comme "un traître", Alexis Lecaye poursuit son trajet d'écrivain : "C'est le refuge des gens qui ne savent pas faire autre chose."

Loup y es-tu ?, Alexis Lecaye, Le Masque, 345 p., 18 euros, ISBN : 978-2-7024-3632-5, mise en vente le 9 novembre.

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