22 AOÛT - ESSAI France

Transcender une expérience ou la dépasser, voire l'oublier. Ce fut le dilemme de Jorge Semprun (1923-2011). Alors qu'il n'était qu'un jeune homme réfugié en France après la guerre d'Espagne, l'apprenti écrivain fit lire à Claude-Edmonde Magny (1913-1966) ses pastiches de Proust et de Gide.

Il l'a rencontrée lors d'un congrès de la revue Esprit à Jouy-en-Josas en 1939. C'est une personne brillante, la seule femme de sa promotion à l'école normale supérieure en 1932. Elle épousera plus tard l'historien Pierre Grimal. Agrégée de philosophie, Edmonde Vinel se consacre à la littérature sous le nom de Claude-Edmonde Magny. Elle observe les métamorphoses du roman français avec beaucoup d'acuité et se distingue en étant la première à célébrer après la guerre l'"âge du roman américain".

Face aux questionnements de Semprun, elle lui écrit une lettre en 1943 qui deviendra la Lettre sur le pouvoir d'écrire. Il ne la lira qu'en 1945 à son retour de Dachau. D'ailleurs c'est Claude-Edmonde Magny qui la lui lira, chez elle.

Publiée en 1947 chez Seghers, puis chez Climats en 1993, cette lettre explique qu'écrire n'est pas anodin. Il ne s'agit ni d'expérience, ni d'âge pour que l'embrasement se produise. Il faut un engagement complet, donc risqué. C'est le sens de ces conseils à un jeune écrivain que l'on peut associer dans la forme à ceux que Rilke prodiguait à un jeune poète.

"Nul ne peut écrire s'il n'a le coeur pur, c'est-à-dire s'il n'est assez dépris de soi, et ceci vaut pour les parties considérées comme les plus humbles, les moins créatrices de la littérature."

Claude-Edmonde Magny veut parler des critiques qui trop souvent ne voient qu'eux-mêmes dans les livres des autres. Or, assure-t-elle, un roman ne peut se contenter d'être un miroir. L'auteure de L'âge du roman américain (Seuil, 1948), de l'Histoire du roman français depuis 1918 (Seuil, 1950) avait une idée précise de la littérature comme du rôle exercé par les femmes dans les lettres.

Dans Les sandales d'Empédocle (La Baconnière, 1945), elle avait réfléchi sur les limites de la littérature. Cette lettre constitue une introduction à cet essai plus vaste. Il y est question d'exigence morale, de comprendre pourquoi, après avoir écrit des ouvrages médiocres, Balzac est devenu génial, et combien il est difficile d'écrire un livre quand on n'a rien à dire. On pourra vérifier tout cela au regard de la rentrée littéraire...

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