Elles ont fait, au tournant des années 2010, les belles heures du marché des livres de loisirs créatifs, contribuant, par leur créativité et leur dynamisme, au dépoussiérage de la discipline et au renouvellement des ouvrages. Cinq ans plus tard, les blogueuses n’ont pourtant plus autant la cote, et désertent même certains programmes éditoriaux. "Nous sommes dans une sorte de repli", convient Tatiana Delesalle, directrice éditoriale du pôle pratique adulte chez Fleurus-Mango.
S’ils continuent de s’appuyer sur ce vivier, L’Inédite comptant ainsi y puiser quelques nouvelles signatures, les éditeurs procèdent désormais avec une certaine prudence. Confrontés à la surabondance, engendrée par un effet d’opportunité lié notamment à quelques belles histoires, ils ont été aussi échaudés par des ventes décevantes, et parfois des ego et des exigences "impossibles à gérer", reconnaît Tatiana Delesalle.
Les critères pour recruter une blogueuse sont donc devenus plus stricts. Derrière la blogueuse ou la youtubeuse, les éditeurs cherchent aujourd’hui la créatrice qui possède un style et une identité forte. La qualité technique des réalisations, l’animation d’ateliers, un nombre de suiveurs important et une interactivité riche avec leur communauté sont également scrutés. "Une fille avec un talent de créatrice, qui se sert de son blog ou des réseaux sociaux comme d’un outil, a un meilleur potentiel commercial que celle qui a un talent pour exploiter son image et dont le blog est une fin en soi", détaille la directrice éditoriale de Fleurus-Mango.
Former un auteur : une activité chronophage
De telles pépites sont d’autant plus difficiles à dénicher que les réseaux sociaux, qui supplantent désormais les blogs, ont explosé, entraînant une dilution des contenus et incitant davantage les amatrices de loisirs créatifs au copier-coller. "On y trouve tout et n’importe quoi, constate Emmanuelle Prot, fondatrice des éditions Créapassions et ancienne blogueuse. Mais surtout, la prime à l’aspect visuel qu’induit Instagram ou Pinterest favorise l’objet final bien ficelé, bien packagé, mais pas la création pure. L’exemple type reste le Do it yourself (DIY), qui est très propice à ce genre de réalisations jolies à voir mais qui, au final, ne produit rien de nouveau."
Autre effet provoqué par les réseaux sociaux : l’émergence de microtendances, "qui ne font pas un livre et encore moins des ventes", analyse Sylvie Cattanéo-Navès. La directrice éditoriale de Dessain et Tolra reconnaît en outre, comme ses confrères, que recruter des blogueuses est une activité chronophage et que la charge de travail éditorial pour les transformer en auteures reste très lourde. "Elles sont moins à l’écoute de ce que veut l’éditeur, ont moins de souplesse et du mal à rentrer dans un cadre et un planning", estime Thierry Lamarre, directeur de la diversification chez Marie Claire. D’autant que pour la plupart d’entre elles, le loisir créatif ne représente pas leur activité principale et qu’elles préfèrent vendre directement leurs réalisations ou leurs patrons sur Internet, qui constitue une meilleure source de profit. "Faire un livre reste certes une belle reconnaissance de notre travail, mais l’exercice manque de spontanéité et n’est guère payant", reconnaît Gaëlle Guérin, auteure de deux livres chez Tutti frutti.
Privilégier des livres haut de gamme
Dans son armada de blogueuses, Emmanuelle Prot n’aura ainsi finalement déniché que quelques auteures "pérennes" : Anne Alletto (six livres), Laëtitia Gheno (Laëtibricole, cinq livres) et Edwige Foissac (trois livres dont en septembre L’univers en couture de la Petite Cabane Mavada). Il en est de même aux éditions de Saxe, où Viviane Rousset travaille régulièrement avec Lindsey Tricot (six livres) et Isabelle Guiot-Hullot dont le troisième ouvrage, Poésie de papier en hiver, sort en octobre. L’éditrice a même mis en sommeil sa collection à petit prix "Secrets de blogueuses" lancée en 2013, pour privilégier des livres plus haut de gamme, tel Mes jolis sacs… mais pas que… d’Hélène Mora, commercialisé en novembre. "Les blogueuses ont envie de publier de beaux objets, avec un packaging qui a du chien, ce qui a aussi plus d’impact auprès de leurs suiveuses", témoigne Viviane Rousset, qui, parallèlement, teste un autre format pour tirer parti de leur influence. Lancé en décembre 2015, le webzine Journaldesaxe.com réunit six blogueuses "inspirantes" qui publient une douzaine d’articles par mois, du bricolage au tricot, accompagnés de tutoriels inédits et de liens vers les livres des éditions de Saxe. "Cela dynamise les ventes et draine beaucoup d’internautes", affirme Viviane Rousset, qui revendique 80 432 utilisateurs et 255 503 pages vues. Une matière dont elle a fini par se servir pour un livre, Saxe, le journal récréatif, à paraître en octobre.
