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L’ePub est-il soluble dans le Web ?

Photo Olivier Dion

L’ePub est-il soluble dans le Web ?

Les deux consortiums définissant les normes du Web et celles du livre numérique projettent de fusionner d’ici à janvier prochain. Le projet soulève à la fois enthousiasme et inquiétudes.

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Par Hervé Hugueny,
Créé le 10.06.2016 à 02h30 ,
Mis à jour le 10.06.2016 à 10h47

Tim Berners-Lee, le Britannique à l’origine du Web, est venu en personne le 10 mai à Chicago annoncer un projet majeur pour l’avenir du livre numérique : la fusion du World Wide Web Consortium (W3C), qui définit les standards de fonctionnement du Web, avec l’International Digital Publishing Forum (IDPF), qui établit la norme de l’ePub, le format de livre numérique. Le projet est soutenu par Bill McCoy, directeur de l’IDPF depuis cinq ans, et ancien d’Adobe. Les conseils d’administration ayant approuvé, il reste maintenant à convaincre les adhérents de la nécessité d’un rapprochement qui devrait être bouclé en janvier 2017.

Un standard du Web ?

"Les deux univers sont déjà proches, les composants de base de l’ePub viennent de l’Internet. L’objectif est que ce format et ses futures évolutions deviennent celui de la publication de tous les documents sur le Web, dont il serait un des standards au même titre que l’HTML ou le CSS. Les éditeurs pourront parler à armes égales avec les concepteurs de navigateurs. A terme, ces navigateurs devraient lire naturellement les fichiers ePub et suivants", s’enthousiasme Pierre Danet, directeur innovation et technologie du groupe Hachette Livre, adhérent aux deux consortiums.

"Nous avons une vingtaine de membres communs, dont Apple et Google, note Ivan Herman, responsable des activités de publication numérique au W3C créées en 2013. Il reste de nombreux problèmes techniques à résoudre, dans l’édition scientifique, dans la publication des manuels, des beaux livres, et les deux univers ont beaucoup à apprendre l’un de l’autre", explique-t-il. Début avril, lors de l’ePub Summit à Bordeaux, l’après-midi consacré aux ateliers de conception d’ouvrages parascolaires et d’albums pour enfants lui a donné largement raison.

Pour le moment, les fichiers ePub ne sont lisibles que sur des liseuses ou sur des applications spécifiques pour tablettes ou téléphones portables. Avantage de ces dernières : elles permettent une lecture hors ligne. Mais la lecture directe de l’ePub dans un navigateur épargnerait ces développements d’applications et faciliterait l’enrichissement de contenus à l’aide de ressources du Web. Elle permettrait aussi une diffusion simple des contenus en ePub, avec l’objectif de conserver la possibilité de lecture hors ligne. Baptisée Portable Web Publications, cette fonctionnalité est au programme de l’ePub 4.

Parmi les 300 adhérents de l’IDPF, un certain nombre s’inquiètent toutefois de leur place dans cette future entité. Ils sont à peine moins nombreux que les 420 membres du W3C, dont le poids est toutefois bien plus important : le consortium compte de très grandes entreprises (Google, Apple…) et de grandes universités et instituts de recherche, qui bénéficient de davantage de moyens. L’IDPF dispose ainsi de 2 permanents, d’un bureau à Seattle et d’une succursale à Paris, alors que le W3C compte plus de 73 permanents, 4 bureaux et 18 antennes dans le monde.

Source de désaccord

Le consortium est aussi réputé lent dans la validation de ses standards, alors que l’IDPF vit dans une urgence permanente pour ne pas laisser Amazon et Apple imposer leurs normes de fait. Mais cette rapidité conduit à des paradoxes : l’ePub 3 est défini depuis 2013 mais personne ne s’en est encore vraiment servi en raison de l’absence d’une bonne solution de gestion de droits numériques (DRM). Cette question de DRM est aussi une source de désaccord possible entre les deux entités, mais officiellement l’IDPF ne s’en occupe plus : c’est l’affaire de Readium et de l’EDRLab, dont elle a piloté la création.

Enfin, ce rapprochement technologiquement prometteur laisse de côté les interrogations sur l’intérêt de l’univers du livre à confier son destin au numérique. Dans l’édition grand public, c’est au risque de tomber plus rapidement sous la dépendance d’une poignée de revendeurs, tout particulièrement Amazon qui n’adhère d’ailleurs ni au W3C ni à l’IDPF. Dans l’édition scientifique, le succès technique et financier est en revanche éclatant, mais la fortune d’un petit nombre de grands groupes s’y est bâtie sur la ponction des budgets des bibliothèques publiques.

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