Entretien

D'institution singulière, créée à l'automne 1988 par Jean-Pierre Dauphin, Olivier Corpet et Pascal Fouché, l'Institut Mémoires de l'édition contemporaine (Imec) est devenue en trente ans l'un des gardiens des archives de la création littéraire du XXe siècle. Installée depuis 2004 dans la verdoyante abbaye d'Ardenne, aux portes de Caen, cette association labellisée « Centre culturel de rencontre » poursuit sa vocation de rassembler, préserver et mettre en valeur les fonds d'archives de maisons d'édition et des différents acteurs du livre et de la création littéraire contemporaine : écrivains, traducteurs, critiques, libraires, journalistes et graphistes. L'année dernière, l'établissement a accueilli près de 450 chercheurs français et étrangers, venus parcourir les 650 fonds d'archives de l'institut dont ceux de Louis Althusser et d'Irène Némirovsky ou des éditeurs Denoël, Grasset ou Flammarion. Avec l'inauguration en 2016 d'un espace d'exposition dans un ancien corps de ferme, l'association s'ouvre également au grand public en organisant des visites de l'abbaye, des expositions et des rencontres. Alors que l'Imec vient de souffler ses trente bougies, Nathalie Léger et Pierre Leroy, respectivement directrice générale et président de l'institution depuis 2013, continuent de préserver et de mettre en valeur à la fois la collection patrimoniale de l'institut et le monument historique qui l'abrite.

Livres Hebdo : Quel bilan tirez-vous des trente ans d'existence de l'Imec ?

Pierre Leroy : Le bilan est évidemment positif, avec un accroissement des fonds gérés, le rayonnement de l'Imec et le développement des manifestations extérieures. En 2016, la modification des structures régionales françaises et la nomination d'un nouveau président à la tête de la Région Normandie, Hervé Morin, ont eu un effet positif pour l'Imec car ce dernier montre beaucoup d'enthousiasme pour l'institut.

Nathalie Léger : Le moment où Olivier Corpet, l'un des fondateurs de l'institut, a quitté la direction de l'institution [en 2016] a en effet coïncidé avec un changement de politique et la formation de la nouvelle Normandie. C'était l'occasion ou jamais de redonner un nouveau souffle à l'Imec. La première fois que nous avons rencontré Hervé Morin, il nous a demandé d'écrire notre rêve pour l'Imec. Nous ne nous sommes pas contentés de rêvasser. En cinq ans, nous avons réalisé des avancées significatives. L'Imec est un lieu unique en France qui accompagne le champ de la recherche avec des archives contemporaines incroyables. Même si nous rencontrons des diffi-cultés de gestion d'archives au présent.

Quels sont vos axes de développement pour la période 2018-2022 ?

P.L. : Nous avons présenté trois axes de développement à la Drac et à la Région. Le premier concerne l'accroissement d'un espace de stockage normalisé car nous avons besoin d'améliorer la gestion de base de l'Imec.

N.L. : Le deuxième axe repose sur la nécessité d'améliorer la valorisation des archives, même si nous avons déjà mis en place une scène littéraire, des salles d'exposition ou de séminaires. Le label « Centre culturel de rencontre » nous oblige à être exigeants et ambitieux. Nous voulons donc augmenter notre capacité d'hébergement pour les chercheurs et notre capacité d'accueil pour le grand public. Enfin, la métamorphose de l'abbaye d'Ardenne représente notre troisième axe de développement. Si certaines zones du bâtiment ont déjà été restaurées, l'abbaye n'est pas encore entièrement rénovée. Nous poursuivons les restaurations pour combler nos besoins. Nous avons le projet de créer des jardins sonores, un espace d'exposition et une galerie permanente. Une mission d'architecture sera lancée fin novembre avec un concours d'architecte en janvier.

P.L. : Nous voulons aller plus loin en termes d'attractivité et mieux penser l'inscription de l'abbaye dans son territoire. Nous souhaitons aussi prolonger le lieu avec des événements plus ou moins liés à la littérature mais toujours avec une exploitation des fonds.

N.L. : L'Imec représente 40 personnes, dont la moitié est dévolue aux collections - traitement et bibliothèque. Nous devons franchir une étape pour les tâches de valorisation, d'entretien des jardins et de l'éditorial.

Au-delà des expositions qui mettent localement en valeur votre fonds, envisagez-vous de grandes expositions en partenariat avec Paris ou d'autres villes ?

N.L. : Nous avons monté des expositions sur Irène Némirovsky pour le Museum of Jewish Heritage à New York en 2008, ou sur l'histoire de la littérature occidentale pour la New York Public Library. Nous travaillons actuellement sur les archives de Gisèle Freund dans le cadre de différents projets en Amérique latine. Nous faisons de la fabrication d'exposition à la demande.

P.L. : Chaque année depuis deux ans, nous organisons également une grande exposition à l'abbaye. Après Jean-Christophe Bailly et le Centre Pompidou, nous donnons cette année carte blanche à Gilles A. Tiberghien pour une exposition autour du voyage qui ouvrira le 19 octobre (1).

Quelle relation entretenez-vous avec les éditeurs ?

P.L. : Une petite centaine d'éditeurs collaborent avec l'Imec. Le conseil d'administration rassemble d'ailleurs l'ensemble de l'édition française avec le Seuil, Bourgois, Flammarion, Albin Michel, le groupe Madrigall ou encore Grasset. Ces éditeurs ont confié leurs archives à l'Imec. Nous n'avons pas eu besoin de les convaincre car ils se rendent compte que c'est dans leur intérêt.

N.L. : Avant que l'Imec n'existe, les éditeurs voyaient leurs archives comme prenant de la place et coûtant de l'argent. Les archives n'étaient pas leur priorité, certaines d'entre elles étaient conservées dans des caves moisies en bord de Seine. Mais l'Imec a radicalement changé le rapport des éditeurs à leurs archives, ils ont compris qu'ils possèdent des trésors.

Votre souhait d'un partenariat avec la Bibliothèque nationale de France, exprimé en 2014 dans Livres Hebdo (2), a-t-il débouché ?

N.L. : La BNF est un partenaire de l'Imec depuis 2014. Nous ne portons pas de projet culturel ensemble, mais il existe mille manières d'être partenaires. Le vieil antagonisme entre les deux institutions a cessé puisqu'il est absolument inutile. La BNF, la bibliothèque littéraire Jacques-Doucet, les Archives nationales et l'Imec contribuent à une mission d'intérêt général. Nous faisons le même métier et nous avons tout intérêt à échanger.

Où en est le développement des archives numériques que vous annonciez il y a quatre ans comme « un vrai chantier à ouvrir pour demain » ?

N.L. : Le chantier du numérique nécessite de moyens financiers importants. Nous avons installé une chaîne numérique très performante et nous ouvrons notre portail des collections en octobre. Actuellement, un document est numérisé dès qu'il sort de la maison. Mais cela n'a aucun sens de faire un doublon numérique de chaque archive. Il faut de l'intelligence derrière chaque projet, en créant des collections qui ont du sens, à la manière de celles des éditeurs. Par exemple, nous avons créé une collection autour des archives de Louis Althusser pour le centenaire de sa naissance. Chaque jour, une archive est extraite et commentée par un spécialiste. Mais il faut aussi faire attention car notre corpus n'est pas forcément tombé dans le domaine public. Nous n'avons pas le droit de tout mettre en ligne.

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