Les Émirats arabes unis (EAU) s'affirment comme un territoire d'opportunités pour l'édition française, portés par une politique culturelle ambitieuse et une demande croissante en contenus francophones. L'Institut français des Émirats a organisé cet automne une mission inédite réunissant sept grands éditeurs français sur trois émirats – Abu Dhabi, Dubaï et Sharjah – à l'occasion de la Foire du livre de Sharjah (2 au 5 novembre 2025).
« On a mis dans nos priorités l'édition de livres, de beaux livres et de livres jeunesse. Ça faisait partie des demandes des Émiriens, parce qu'ils ont besoin de développer leur propre secteur d'édition », explique à Livres Hebdo Stéphanie Salha, directrice de l'Institut français d’Abu Dhabi. La mission visait à mettre en relation les éditeurs français avec des institutions émiriennes et le secteur privé local.
Un boom muséal et éducatif porteur
Le développement culturel des Émirats constitue le principal argument. Trois nouveaux musées ouvriront d’ici deux ans à Abu Dhabi : le Muséum d'histoire naturelle, le National Muséum et le Guggenheim. S'y ajoutent le Louvre Abu Dhabi et le musée Teamlab, déjà opérationnels. « Tous ces musées ont des besoins autour de l'édition », souligne Stéphanie Salha, évoquant notamment les catalogues d'exposition.
La délégation des sept éditeurs français de beaux livres et illustrés emmenée par l'Institut français des EAU à Dubaï en novembre 2025- Photo DRPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
En outre, le secteur éducatif francophone connaît une expansion significative. Les Émirats comptent désormais neuf lycées français totalisant près de 15 000 élèves, contre sept établissements il y a deux ans. La communauté française dans le pays est estimée à plus de 40 000 personnes, pour un total d’environ 400 000 francophones. « On a une communauté française qui augmente fortement, mais aussi une communauté francophone avec beaucoup de ressortissants du Liban, d'Égypte, d'Afrique du Nord », précise la directrice.
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Des perspectives contrastées
Pour Mathilde Barrois-Fischer, directrice des droits beaux livres et illustrés chez Gallimard, le bilan de la mission est positif. « Le déplacement était 100 % justifié par le fait que la mission était dédiée au livre d'art. Pour Gallimard, ça avait vraiment du sens de venir », reconnaît-elle, saluant une organisation « fantastique » avec des rendez-vous auprès des « acteurs majeurs des Émirats dans le monde de la culture et de l'art ».
Les éditeurs ont découvert un territoire aux spécificités complexes. « Seulement 10 % de la population étant émirienne, c'est aussi une population très anglophone », observe Juliette de Lavaur, en charge des partenariats chez Edi8 (groupe Editis). Cette dimension multilingue – arabe, anglais, français – impose une réflexion éditoriale différente des marchés arabophones traditionnels.
La directrice des droits de Gallimard tempère les attentes commerciales à court terme. La production de catalogues d'exposition bilingues français-arabe, ou même trilingues avec l’anglais, se heurte à une contrainte économique majeure : le coût de fabrication d'ouvrages illustrés haut de gamme ne trouve pas son équilibre dans les tirages proposés. Les frais de traduction, de mise en page complexe pour intégrer les différentes langues, et de reproduction des images en haute qualité alourdissent considérablement l'investissement initial. « Souvent, les tirages sont trop faibles pour que ce soit envisageable pour nous », explique Mathilde Barrois-Fischer.
Un marché en structuration
Les maisons d'édition doivent adapter leur approche. « Les professionnels ici ne sont pas nécessairement à l'aise avec les notions de coédition », prévient l'Institut français, qui a organisé plusieurs réunions de cadrage en amont pour sensibiliser les éditeurs (lire ci-après). « Ils ne sont pas familiers de la coédition parce qu'ils ne connaissent pas forcément bien le modèle », corrobore Juliette de Lavaur, qui estime qu’« on peut les y amener en faisant de la pédagogie pour mieux travailler ensemble »
Le modèle diffère sensiblement du marché chinois, où Gallimard vend régulièrement des droits sur des livres d'art existants avec des tirages de 3 000 à 5 000 exemplaires. Aux EAU, Mathilde Barrois-Fischer privilégie pour l’instant deux pistes : la cession de droits de collections comme « Les Découvertes Gallimard », et surtout « des partenariats, des ponts à créer pour collaborer sur la création de catalogues d’exposition ». Juliette de Lavaur confirme cette approche. « C'est la stratégie des petits pas, explique-t-elle. Il faut s’inscrire dans la durée sans multiplier les projets d’un coup ».
« C’est un marché que nous devons continuer à suivre, car tout y est fait pour développer les partenariats avec les acteurs étrangers de la culture, et de l’édition en particulier », Mathilde Barrois-Fischer- Photo DRPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
Les éditeurs français ont découvert un marché encore peu structuré mais en mutation. « Il y a un travail sur le lectorat qui est fait, des dispositifs issus de l'action publique pour développer la traduction en arabe, la publication sur le territoire », note Younes Benmebarek, chargé de mission à l'Institut Français.
Pour les éditeurs, la séquence à la Foire de Sharjah a permis de renouer des contacts établis lors de précédentes rencontres avec des éditeurs égyptiens, saoudiens, émiriens et turcs, ainsi que des agents du bassin méditerranéen. « J'ai revu les éditeurs que j'avais vus au Caire il y a deux ans et pour certains, on ne s’était pas revus depuis mais on avait continué à échanger par mail », raconte Mathilde Barrois-Fischer.
Des stratégies à ajuster
Si la représentante de Gallimard est satisfaite de sa mission aux Émirats arabes unis, elle n’envisage pour le moment pas de s’y rendre chaque année. « C’est un marché que nous devons continuer à suivre, car tout y est fait pour développer les partenariats avec les acteurs étrangers de la culture, et de l’édition en particulier. C’est en revanche un peu tôt pour considérer que c’est un déplacement majeur à prévoir au budget chaque année, en tout cas pour les chargés de droits de l’illustré » analyse Mathilde Barrois-Fischer.
À l'inverse, Juliette de Lavaur envisage un retour plus rapide, qui pourrait être dès « l'année prochaine, avec un ciblage encore plus précis des interlocuteurs et des sujets concrets à partager ». Le verdict reste en suspens, mais les éditeurs ont pu confirmer que dans les pays du Golfe, « il y a une vraie volonté de se renseigner sur les partenariats, les ponts possibles avec la France ».
Un dispositif sur-mesure pour les éditeurs français
L'Institut français des Émirats a conçu une mission inédite couvrant les trois principaux émirats sur une semaine complète. « C'est une première parce qu'on avait traditionnellement des maisons d'édition qui venaient pour la conférence des éditeurs de Sharjah mais on ne faisait pas cette mission autour des trois Émirats », souligne Stéphanie Salha.
Le programme a alterné rendez-vous institutionnels (Louvre Abu Dhabi, fondations d'art contemporain, bibliothèques), rencontres avec le secteur privé et deux journées à la Foire de Sharjah. Les éditeurs ont bénéficié de réunions de cadrage en amont pour comprendre les spécificités du marché.
L'approche s'inspire du programme ICC Immersion, lancé en juin 2024 pour une dizaine d'entreprises françaises, avec plus de 100 rendez-vous B2B sur dix jours. « Il y a eu des rendez-vous pré-immersion, l'immersion, puis des rendez-vous après immersion, parce que c'est important de garder le fil », explique la directrice.
L'IF prévoit des suites concrètes : aides à la traduction, appels à projets pour la coédition, invitation potentielle au sommet des éditeurs organisé par la Mohammed Bin Rashid Library de Dubaï en 2026. Trois auteurs et illustrateurs seront accueillis cette année dans les lycées français et alliances françaises. « On essaie de travailler sur l'ensemble de la chaîne du livre », résume l'équipe de l'Institut.
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