Droit

Les marques et noms communs ou la peur de dégénérer

Les marques et noms communs ou la peur de dégénérer

On ne peut pas utiliser Kärcher comme un nom commun. Et ce n'est pas la seule marque qui se plaint d'un usage abusif dans la culture ou les médias.


Caddie a été ainsi placé en redressement judiciaire le 4 janvier  dernier, tandis que Valérie Pécresse déclarait à plusieurs reprises entre le 6 et le 10 janvier, vouloir « sortir le kärcher de la cave » où les successeurs de Nicolas Sarkozy à l’Élysée l’auraient remisé, Dès le 11 janvier, la maison-mère allemande Kärcher a protesté dans un communiqué de presse contre les « propos déplacés » de la candidate LR et lui a demandé de « cesser immédiatement tout usage de sa marque ». Et a renchéri avec la publication dans nombre de quotidiens de pages entières aux termes de laquelle elle ne cite plus la Présidente de Région mais rappelle que « la marque Kärcher ne doit être utilisée que pour désigner les produits de des sociétés Kärcher ».

Il y a dans Kärcher ces publicités l’indication d’un autre débat que celui de l’image d’une entreprise et de se produits phares.

Les marques redoutent en effet par-dessus tout ce que les spécialistes appellent la « dégénérescence ». Rendre une marque générique, c’est la faire entrer dans le vocabulaire courant, à un point tel que son titulaire perd tout droit sur la précieuse dénomination.

Le syndrome Pédalo/Frigidaire, du nom de ceux qui, parmi les plus célèbres, ont fait les frais de cette règle de droit, n’est jamais loin ; et les marques ont d’ailleurs la gâchette de plus en plus facile contre l’emprise de la vie quotidienne sur leur notoriété.

Il en est ainsi, à l’heure actuelle, de Caddy (« marque déposée », précisons-nous par prudence…) ou d’Aquagym (idem ! ), qui sont autant de marques déposées de plus en plus usitées par le grand public comme par la presse pour désigner des activités génériques.

Par un arrêt en date du 21 octobre 2015, La Cour d’appel de Paris a ainsi sauvé in extremis la marque Meccano.

Le Point a été à ce titre condamné pour avoir utilisé ce terme, qui s’avère être une marque protégée, aux fins de désigner non le célèbre jeu, mais de façon plus large « tous systèmes de construction ou de montages architecturaux, intellectuels, politiques ou économiques ». Le magazine avait été alerté à plusieurs reprises par les propriétaires de la marque : en 2006, puis par deux fois en 2010. En 2011, un nouvel article suscitait une énième mise en demeure, suivie d’une réponse du journal entendant continuer à utiliser librement ce vocable.

Le Tribunal de grande instance de Paris, en 1980, a condamné de son côté, et avec retentissement, un écrivain dont le héros utilisait un « bic » au lieu d’écrire avec le « Bic », accompagnée de la précision qu’il s’agissait bel et bien d’un signe protégé... Difficile aujourd’hui cependant, pour le romancier contemporain, de décrire un centre-ville sans citer, au lieu d’une mercerie et d’une calèche, les noms d’un supermarché et d’un modèle de berline…

De 99 francs à No Logo, plusieurs ouvrages à succès ont dénoncé en librairie le pouvoir des marques. La force du droit des marques est telle que, paradoxalement, par une intéressante mise en abîme, les dénonciateurs de cette emprise s’exposent juridiquement, par la mention ou la reproduction des signes litigieux.

Décrire la vie contemporaine, l’économie, la politique, la rue, les faits divers ou encore le contenu d’un réfrigérateur, c’est aussi et surtout citer des marques, désormais omniprésentes.

Journalistes et romanciers accusent les entreprises de détourner l’objet et la finalité des règles protectrices des marques, afin de museler, par exemple, le libre droit de critique à l’encontre de leur politique sociale.

Droit des marques

En effet, aux termes de l’article. L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), « sont interdits, sauf autorisation du propriétaire (…) la reproduction, l’usage ou l'apposition d’une marque (…), ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l'enregistrement ». C’est donc la concurrence, cherchant à tromper le consommateur moyen, qui est visée en premier lieu.

Mais le droit des marques s’impose aujourd’hui dans bien d’autres situations. Ainsi, l’article L. 713-5 du CPI protège les marques notoirement connues ou « jouissant d'une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l' enregistrement », dont l’usage « engage la responsabilité civile de son auteur s'il est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cet emploi constitue une exploitation injustifiée de cette dernière ».

Le droit des marques permet donc à son titulaire d’interdire toute utilisation du signe distinctif.

Un tel type de contentieux illustre le paradoxe des marques, qui cherchent de plus en plus à envahir l’univers visuel et sonore, mais recourent sans cesse à la justice Enfin, dans le même registre des atteintes au nom, rappelons les quelques affaires qui apparaissent sporadiquement, mettant en scène des homonymes de personnages de romans.

Il est bien évident que l’absence de confusion possible entre le plaignant et le personnage suffit à écarter la responsabilité de l’écrivain et de son éditeur.

Les tribunaux ne condamnent les éditeurs et leurs auteurs sur le fondement de l’atteinte au nom que si une confusion et un préjudice (c’est-à-dire la présentation du personnage sous un jour négatif) sont établis. Et une clause de mise en garde (« toute ressemblance… ») peut constituer un début de protection efficace, si elle ne sert pas à déguiser une intention de nuire.

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