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Le monde célèbre cette année le soixantième anniversaire de la fin du régime nazi. La question se pose pourtant encore des droits d’auteur dont peuvent jouir les héritiers - si ce n’est idéologiques, à tout le moins familiaux - des criminels nazis et de leurs complices.

Car les ayants-droits de Joseph Goebbels ont, le 9 juillet 2015, fait condamner une filiale allemande de l’éditeur Random House par un tribunal de Munich pour avoir reproduit de trop larges extraits de son journal et ce sans avoir requis d’autorisation ni, a fortiori, versé de rémunération. La « faute » a été commise au sein d’une biographie du ministre de la propagande du IIIe Reich, signée par Peter Longerich.

Le biographe, historien reconnu, avait conscience de son acte : « si vous acceptez qu'une personne privée contrôle les droits d'auteur des journaux de Goebbels, vous donnez, en théorie, le droit de contrôler la recherche sur ce sujet. »

C’est en tout cas la position retenue dans un second temps par la maison d’édition, qui avait auparavant et très maladroitement accepté de verser 1% des recettes aux héritiers du dignitaire du Troisième Reich, sous réserve que les sommes aillent abonder une organisation oeuvrant pour la mémoire de la Shoah.

Précisions que les écrits de Goebbels tombent à la fin de cette année dans le domaine public, mais que le livre litigieux a été publié en Allemagne en 2010 (et en France par Perrin au printemps dernier). La République fédérale d’Allemagne est confrontée, depuis soixante ans, à une telle problématique.

Nombre de documents photographiques sur la vie – ou plutôt la mort – dans les camps de concentration ont en effet pour auteurs des militaires allemands. Ce sont donc eux-seuls qui, en théorie, peuvent délivrer des autorisations de reproduction et percevoir les droits sur les livres dénonçant leurs crimes…

L’Etat d’Israël, qui détient le manuscrit des Mémoires d’Eichmann, a connu le même type de difficulté. Eichmann a laissé 1200 pages, rédigées pendant son procès pour crime contre l’humanité. Il y reconnaît la Shoah, tout en cherchant à atténuer sa propre responsabilité. Israël délivre gratuitement depuis 1990 des transcriptions de ce texte. Mais le vendre en librairie nécessiterait de verser, là encore, des droits d’auteur au fils de l’ex-dignitaire nazi.

La conception française de la propriété littéraire et artistique tolère difficilement l’instauration de régimes particuliers qui sanctionnent des auteurs en fonction de leur passé ou de leurs actes. Le droit d’auteur est, de ce côté-ci de l’Atlantique, indifférent au genre de l’œuvre et à la personnalité de l’écrivain. Seule une loi dite Perben II, votée en 2003, interdit, en France, la publication d’un livre non pas en raison de ce qu’il contient, mais en raison de celui qui l’écrit. C’est en théorie, dans le texte voté, seulement les conditions de la « liberté conditionnelle » qui sont visées. Cela ne concerne donc pas les criminels de guerre et/ou contre l’humanité.

Enfin, rappelons que, Adolf Hitler étant mort en 1945, son « œuvre » tombera dans le domaine public au 1er janvier 2016, soit, conformément aux règles européennes en la matière, soixante-dix ans après la mort de l’auteur (la date étant toujours repoussée au 31 décembre suivant).

Pour ce seul cas, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les Alliés ont confié la propriété des droits de Mein Kampf au Land de Bavière, lequel s’est acquitté de sa mission avec la plus grande parcimonie, ne délivrant les autorisations de publication, qu’au compte-goutte. En Allemagne, comme en Hollande, le livre est interdit de commercialisation. L’ouvrage est édité sans restriction aucune en Iran, en Turquie, en Inde, en Indonésie ou encore en Russie.

En France, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt en date du 11 juillet 1979, a imposé un assez long avertissement (de huit pages) sur la version proposée par les Nouvelles Editions Latines, en estimant que le livre pouvait être autorisé à la vente compte tenu de son intérêt historique, mais devait être accompagné toutefois d'un texte mettant en garde le lecteur.

Rien ne dit ce qu’il adviendra de ce dispositif une fois le funeste livre tombé dans le domaine public. C’est pourquoi il existe un projet, intitulé Mein Kampf Prévention, porté par des entités privées, visant à un contrôle au niveau européen, dans une Europe qui, pour l’heure,  continue de favoriser le versement de royalties aux enfants des bourreaux. 

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