5 février > Roman France

Les psychologues appellent ça des "antécédents familiaux" : dans la famille Barrière, deux arrière-grands-pères, sans doute à cause des horreurs de la guerre de 14 qu’ils avaient faite, se sont autrefois suicidés. Aussi Robert, l’actuel patriarche, 88 ans, ne peut-il admettre que son propre fils, Paul, se soit à son tour donné la mort. Surtout que, sexagénaire flamboyant et jouisseur, il avait superbement réussi dans ses affaires - assez mystérieuses et en rapport avec la défense nationale - et s’était remarié pour la quatrième fois, avec Barbara, une Allemande bien plus jeune que lui, hautaine et intéressée. Le schéma classique. Quand le corps de Paul est retrouvé dans une forêt, la tête explosée au fusil de chasse, tous les mâles de la famille, le grand-père et les trois fils, refusent de croire à la thèse du suicide, persuadés que leur parent a été assassiné pour des raisons politiques. Tout du moins les deux aînés : Olivier, celui qui a réussi, et François, un instable, un dandy frivole qui revient pour l’occasion des Etats-Unis. Le benjamin, lui, Aurélien, gay efféminé et dépressif chronique, auteur lui-même de plusieurs tentatives de suicide, peut admettre cette espèce de fatalité familiale. François aussi, d’ailleurs, avait tenté de se supprimer à l’adolescence.

C’est autour de ce dernier qu’est axé le roman, de la façon dont il va parvenir à rompre le cordon ombilical qui le reliait à son père, admiré, détesté, et finalement mal connu. Ce père qui, post mortem, affiche sa préférence à son égard en lui léguant son luxueux appartement entièrement meublé Directoire. Grâce à l’énergie que lui insuffle Louise, une jeune plasticienne libérée et un peu nymphomane dont il est tombé amoureux, François va parvenir à faire son deuil. La fratrie, elle, se déchirant lors d’un dîner règlement de comptes, après quoi Aurélien partira pour s’occuper d’orphelins au Honduras.

Pour son quatrième roman, Thomas Bouvatier, auteur discret, a choisi la tragi-comédie de mœurs sur fond de rivalités familiales, inépuisable réservoir romanesque depuis que le genre existe. Avec une progression bien construite, une variation des angles et des points de vue, il parvient à être original, ce qui n’était pas gagné d’avance. Nourri de nombreuses scènes dialoguées, le récit est vif, avec quelques épisodes marquants : la façon dont les frères congédient leur belle-mère, exclue par Paul de sa succession, le grand déballage du dernier dîner, ou encore les amours tumultueuses de François et de Louise. Mais, le livre refermé, une énigme demeure : Paul. Un "animal" aux yeux de loup, un excentrique sulfureux dans une famille calviniste plutôt austère, un homme apparemment sans problème : pour quelles raisons a-t-il mis fin à ses jours ? Nul ne le saura jamais.

J.-C. P.

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