Essai/France 21 novembre Jean-Yves Leloup

« L'essentiel est invisible pour les yeux », tel est le secret que le renard livre au Petit Prince. Cette pensée aussi simple qu'un conte pour enfants n'en est pas moins profonde. Jean-Yves Leloup la creuse et la développe dans un essai à la scansion mystique L'évidence de l'invisible : anamnèse essentielle. L'écrivain, philosophe, théologien, prêtre orthodoxe, exégète notamment des évangiles apocryphes de Thomas ou de Marie et fondateur de l'Institut pour la rencontre et l'étude des civilisations et du Collège international des Thérapeutes, rappelle en incipit les différentes acceptions d'« anamnèse », en médecine, en psychanalyse et dans le rite chrétien.

Ainsi ce terme signifie-t-il tour à tour remonter le cours de la maladie, faire la généalogie des maux et retracer le suivi, le cas échéant, des traitements pris par le patient ; « l'histoire même du sujet, le sujet étant considéré comme la somme de cette histoire, de ses traumatismes, de ses symptômes et de leur résolution aléatoire inaccomplie » ; ce moment de la messe où « on fait mémoire de la passion, de la mort et de la résurrection du Christ et de Sa présence réelle et vivante, "avec nous jusqu'à la fin du monde" à travers les gestes de la "communion" du pain et du vin, corps et sang, partagés. » Ce qui intéresse ici Jean-Yves Leloup est le rapport entre la santé et le salut (même mot en grec, soteria), lequel passe par un retour sur soi, en soi et au-delà de soi - le petit « moi haïssable », pour parler comme Pascal. Dans cette invitation à la quête de la verticalité, d'un quelque chose qui nous dépasse, l'auteur s'inscrivant dans l'esprit d'ouverture à autrui comme au grand Autre cite à la fois les Grecs que les Pères de l'Eglise, les pensées soufie ou indienne. Avec Philon d'Alexandrie et les anciens Thérapeutes, il affirme que « Dieu est no-thing, "pas une chose", l'Etre n'est pas "un être" c'est de l'espace, de la clarté, c'est ce qui demeure entre nous, entre tout, le Rien, no-thing, le "pas une chose" d'où naissent toutes les choses. » Pour ces Thérapeutes d'Alexandrie, secte juive hellénisée qui vécut vers le commencement de l'ère chrétienne, il s'agit dans la pratique de l'anamnèse essentielle de se remémorer sans cesse, telle une respiration, « une invocation de la présence de l'Infini (Vie-Conscience-Amour) ». Prier devient alors un modus videndi, comme une autre « manière de voir » - voir avec les yeux de l'âme.

Jean-Yves Leloup
L’évidence de l’invisible : anamnèse essentielle
Actes Sud
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 10 euros ; 96 p.
ISBN: 9782330114459

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