Essai/Allemagne 3 avril Peter Sloterdijk

Il affirme le « conservatisme de gauche » être sa couleur politique. Mais peut-on s'enrôler sous un tel oxymore ? Quand on s'appelle Peter Sloterdijk, tout est possible. Le philosophe allemand possède la faconde, la culture et même ce qu'il faut d'abscons parfois pour cheminer assez loin dans le paradoxe. Sauf qu'il en tire souvent quelques fulgurances, contestables parfois, qui font débat outre-Rhin.

Pour cet « ancien apolitique », l'Europe est inquiète. Mais de quoi ? En bon thérapeute, ce spécialiste des médias qui serait capable de faire une thèse de psycho-politique sur le fauteuil roulant de Bouteflika s'est penché sur le patient européen. Pour lui, l'Europe est d'abord malade de ses mots-valises qui ne font voyager nulle part, sauf dans la simplification qui est la première étape de l'ignorance. Or le populisme, qui est pour lui « la forme agressive de la simplification », se révèle dans des mots comme Grexit ou Brexit, qu'il qualifie d'« immondices » remontées à la surface pour pourrir un débat qui n'aura pas lieu.

Puis viennent les mots piégés. « Frontière », « immigration », « intégration », « terrorisme » fonctionnent comme des stimuli sémantiques qui introduisent « du névrotique dans l'espace politique ». Pour Sloterdijk, les médias modernes « sont moins des moyens d'information que des porteurs d'infection ». Il y a donc bien une pathologie européenne qu'il nomme populisme et qui trouve son terreau dans le cynisme. La faute à qui ? Aux dirigeants, bien sûr, dont François Hollande, « le politicien le plus falot depuis le Moyen Age tardif ». Si la migration est bien « le sujet du siècle », il faut le traiter comme tel et non comme un fantasme. Il en est de même pour la « bombe démographique » qui s'annonce.

Proche d'un Régis Debray dans son analyse des médias, il croit en revanche toujours en l'Europe. « La force de l'Europe repose sur l'indépendance de ses institutions à l'égard de l'humeur. » Si la moindre incartade nationale est capable de faire vaciller l'édifice, c'en est fini. La fièvre se propage. Ce qui serait en marche n'est pas la république mais la désinhibition. Mais comment qualifier cette nuance ? Progressisme de droite.

Peter Sloterdijk
Réflexes primitifs : considérations psychopolitiques sur les inquiétudes européennes - Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni
Payot
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 16,50 euros ; 224 p.
ISBN: 9782228923613

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