5 JANVIER - ESSAI Iran

Daryush Shayegan- Photo ERIC POLETTI/ALBIN MICHEL

"Le vent de liberté qui a soufflé récemment sur le monde arabe présage là aussi un espoir, espoir que, quelque particularité culturelle et religieuse que nous ayons les uns et les autres, il y a toutefois des valeurs qui transcendent ces particularismes nationaux et ethniques et concernent l'humanité tout entière." Quels sont ces universaux ? Et en quoi peuvent-ils orienter ce nouvel Orient déboussolé ? C'est tout le sens de La conscience métisse, le nouvel essai de Daryush Shayegan.

Ce philosophe, né en 1935 à Téhéran, a étudié à Paris avec Henry Corbin (1903-1978), le grand spécialiste du mysticisme musulman, auquel il a consacré plusieurs travaux. Shayegan, qui a reçu la Grande Médaille de la francophonie de l'Académie française, est donc parfaitement équipé culturellement et intellectuellement pour comprendre les relations Orient-Occident et pour dégager ce qu'il appelle "le devenir de l'être dans le monde" à une époque où ce monde apparaît chaotique, ambivalent et difficile à saisir.

C'est en effet sur cette vaste scène panoramique que se déploient à ses yeux les étapes du nouveau devenir culturel de l'humanité. Shayegan les envisage en interrogeant les penseurs iraniens qu'il connaît bien, mais aussi les théologiens arabo-musulmans ou les oeuvres de Heidegger, Deleuze, Derrida et surtout Jean Baudrillard.

Comme l'espèce humaine est issue d'un bricolage de l'évolution, Shayegan veut faire prendre conscience de l'émergence d'un bricolage culturel, un métissage globalisé surgi des rencontres entre les pensées modernes et les traditions religieuses, une pensée nomade faite d'agrégats divers. Cette nouvelle généalogie ne peut selon lui se concevoir sans la reconnaissance de ces quelques universaux issus du rationalisme des Lumières et de l'exigence démocratique.

"Nous n'avons ni réalisé nos rêves ni mis en chantier nos grands idéaux, nous appartenons à un monde où tout est à l'état d'ébauche, où la substance de l'être non seulement n'a pas été vidée, mais est en crue, déborde de passions, d'émotions, rien n'y est encore extériorisé, encore moins la culture."

Tout reste à faire. Shayegan invite donc son lecteur à regarder ce monde qui vient avec quelque optimisme, non pas comme un choc mais plutôt comme un entrelacs de civilisations. Et sans doute parce qu'il se définit comme un libre-penseur "un peu philosophe", cet homme qui observe les villes, les arts, les littératures et les gens en Iran comme ailleurs, qui convoque les penseurs les plus inclassables dans sa réflexion, nous éclaire à sa façon sur cette nouvelle conscience du monde faite d'un peu de tout mais qui doit quand même garder les caractéristiques de l'unique pour chaque culture afin d'éviter la fin des illusions. Bref, une stimulante traversée des pays et des idées.

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