Histoire/France 14 février Olivier Grenouilleau

Dans l'expression « petites patries », la force du substantif n'est en rien altérée par la dimension. Elle renvoie au contraire à une sorte de proximité. C'est pourquoi le sentiment d'être breton, basque ou alsacien est aussi puissant. Pour autant, cette revendication d'appartenance n'oblitère pas l'appropriation nationale. On est « à la fois », si l'on est « gilets jaunes », ou « en même temps », si l'on est macronien, normand et français. D'où provient cette curiosité ?

Olivier Grenouilleau est allé fouiller dans le passé pour trouver une explication. Des pagi gallo-romains à nos jours, il a épluché les textes, remué son Tocqueville et houspillé son Clemenceau pour tenter de comprendre ce qui s'est construit depuis la Révolution avec la création des départements. Ce chercheur qui délaisse périodiquement l'histoire de l'esclavage - sa spécialité - pour des chemins de traverse montre que ces « petites patries » ont émergé bien avant.

Sur la longue durée, Olivier Grenouilleau révèle la nature fluctuante de ces identités en dépassant l'opposition classique entre Jacobins et Girondins. La Révolution a fait disparaître - provisoirement - les provinces de la carte administrative, mais l'idée d'une réforme est bien antérieure. Sous Louis XV, Turgot avait déjà envisagé un système de « municipalités » superposées pour rendre la perception de l'impôt plus efficace. Dès la fin du XVIIe siècle fut tenté un réaménagement territorial des pouvoirs. Les phases de centralisation et de décentralisation se succèdent au point de brouiller la perception de ces identités réduites à la question administrative. Au XIXe siècle, la France des notables recrée des liens entre la nation et la région. Elle s'illustre dans la peinture - l'école de Barbizon - et dans la littérature avec les Scènes de la vie de province de Balzac. C'est à ce moment, pour Olivier Grenouilleau, que des sentiments d'appartenance nouveaux apparaissent. « La soudaine dé-régionalisation de l'espace économique national génère, nous l'avons depuis totalement oublié, des réactions tout aussi vives qu'à notre époque de "mondialisation". »

Les historiens et les géographes ont aussi participé à cette réinvention des provinces. Après une période de discrédit, on voit ressurgir à travers la crise des « gilets jaunes » le sentiment de ces petites patries délaissées par la grande nation. Aujourd'hui, on parle beaucoup de voiture, de carburant, de déplacement, mais les dimensions de ces territoires sont comparables à celles du Moyen Age : un cavalier devait pouvoir y faire un aller-retour dans la journée.

Olivier Grenouilleau
Nos petites patries. Identités régionales et Etat central, en France, des origines à nos jours
Gallimard
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 22 euros ; 288 p.
ISBN: 9782072763786

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