On ne philosophe pas hors de son temps. Le choix de Giuseppe Rensi (1871-1941) est éloquent. En plein fascisme, le philosophe vézonais choisit l’auteur de L’éthique. Son Spinoza paraît en Italie en 1929, mais il a sans doute été écrit en 1926, dans la période où Mussolini façonne son Etat totalitaire par une série de lois. C’en est trop pour cet ancien avocat, journaliste et militant socialiste qui a connu l’exil en Suisse. Le professeur de philosophie ignore que le Duce le jettera en prison avant d’être contraint de le libérer devant le scandale provoqué.
Rensi le sceptique considère que la possibilité de reconnaître un ordre dans le monde chaotique est une illusion. Il se tourne donc vers le penseur hollandais. "L’œil de Spinoza fixé sans voile sur la réalité ne cède pas plus aux bons sentiments que celui de La Rochefoucauld." Rensi est de la trempe du moraliste français. Vif, spirituel, il parle de Spinoza comme d’un ami. Ses phrases sont claires, ses questions universelles : quelle perception avons-nous de la réalité ? qu’est-ce que l’Etre ?
Rensi, qui a livré son testament dans La philosophie de l’absurde (1937), réédité par Allia (210 p., 20 euros), a le don d’impliquer son lecteur et de rendre Spinoza actuel, en le présentant comme le contraire d’un idéaliste, comme un "effort considérable pour assujettir la raison aux choses". Dans la lignée élégante d’un Leopardi, Rensi est à la recherche des vérités qui rendent les gens un peu plus sereins et un peu moins malheureux. Il est temps de découvrir en France celui qui fut nommé le "poète maudit de la philosophie".
L. L.
