Espion, révèle-toi. Royal Victoria Patriotic School ? Le nom du lieu intrigue et les archives du renseignement britannique ne répondent que partiellement à nos questions. Qu'à cela ne tienne : Macha Séry s'attaque à la brume opaque protégeant l'institut et ses activités circonscrites aux années 1941-1945. En plein conflit mondial donc, les autorités anglaises investissent un sombre orphelinat du sud-ouest de Londres pour y installer l'un de leurs pointilleux services de contre--espionnage. L'austère manoir victorien mute alors en une mystérieuse gare de triage pour tous les étrangers entrés clandestinement au Royaume-Uni. Il s'agit désormais de séparer le bon grain allié de l'ivraie ennemie et d'y débusquer de potentielles taupes. Rien qu'au rayon des éminences françaises séjournèrent entre ces murs à oreilles Jean Moulin, Jean-Pierre Melville, François Mitterrand, Raymond Aron, Maurice Druon... Et surtout Joseph Kessel qui, en relatant cet épisode de sa vie (repris dans Romans et récits I, « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 2020), fournit à Macha Séry les premières pistes de la présente fiction. De l'autrice, nous connaissons l'impeccable carrière de critique littéraire au sein du quotidien Le Monde, mais cet inattendu roman d'espionnage en tous points réussi nous fait découvrir une facette inédite d'aptitudes audacieuses. Novéliser les annales de la Patriotic School était effectivement un pari osé. En décortiquer les fonctions ou l'organisation et y puiser la trame addictive d'un polar passionnant relevait d'un numéro de haute voltige. Le résultat convainc. Évitant tous les écueils de l'érudition et du didactisme, le livre raconte le quotidien des officiers chargés des interrogatoires et celui de pensionnaires plus ou moins consentants. Certains chapitres courts se résument à une petite tranche de vie au cœur de l'établissement, d'autres, plus -étoffés, charpentent la colonne vertébrale de l'histoire.
L'obligation de courtoisie de l'encadrement et la nécessaire présomption d'innocence confèrent au site un air de prison surréaliste tout à fait cocasse. Néanmoins, certes bien traités et bien nourris, les « invités » n'aspirent qu'à une chose : la fuite. Les raisons en sont diverses. Pour Victor, la terre promise stationne à Carlton Gardens, au siège de la France libre. Pour le Serbe Goran ou pour les frères bataves Willem et Han, l'urgence est de reprendre les armes contre le fascisme. Quant aux éventuels vers dans le fruit, il leur faut faire profil bas et déjouer chaque question. Mais qui sont-ils ? Sous quelles identités se cachent-ils ? Sur certains, le piège se refermera. Mais, échevelées et ultradocumentées à la fois, les 500 pages du labyrinthe ne nous éclairent qu'avec parcimonie. Le doute prévaut, toujours : il est même inscrit dans les missions de l'endroit. En contrepoint, suivre les pas d'une infirmière accro à la morphine ou ceux de ses collègues religieux de toutes obédiences étoffe ce piquant jeu de piste, voire de société, fait de polémologie, de légitime méfiance belliciste, de satire sociale parfois. Ainsi, une autre version de la guerre se dessine, sans abominations ni assauts sanglants, mais non sans dommages collatéraux ou destins précarisés. Même le polygraphe ne saurait démentir notre intérêt pour cet ouvrage innovant.
Patriotic School
Gallimard
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 19 € ; 496 p.
ISBN: 9782073035158