avant-portrait > Hélène Ling

Elle aurait beau faire […], les signes qu’elle émettait seraient toujours ambigus, à l’image hybride et trafiquée de ce nom Hélène Ling, cette suture grossière de deux cultures qu’arboraient surtout les Chinois récemment cousus de dollars, émigrés sur les marchés anglo-saxons, qui avaient répudié leur héritage pour devenir golden boys, starlettes et tennismen. Quand reviendrait-elle aux sources, et par là, à la vérité ?"

La vérité en littérature est affaire de point de vue. De style, en fait. De fatigue aussi, parfois. Comme celle qui saisit Hélène Ling lorsque, sa mère étant atteinte d’Alzheimer, il lui fallut endosser un travail d’archéologie familiale autour de l’exil. Le résultat est cet Ombre chinoise, par lequel elle joue brillamment avec sa vérité propre et qui la confirme comme une romancière parcourue d’éclats purs de modernité.

Résumons l’affaire, alors qu’on la rencontre dans les locaux de son nouvel éditeur, Rivages. Après deux livres remarqués, Lieux-dits (Allia, 2006) et Repentirs (Gallimard, 2011), tous deux comme autant d’explorations d’un Paris contemporain qui est sien depuis sa naissance, il s’agissait cette fois-ci pour notre romancière de cesser de se fuir. "Je n’ai jamais considéré la Chine, Taïwan, comme une identité. En écrivant ce livre, il s’agissait pourtant de la traverser, ce qui m’a amenée à des éléments autobiographiques, mais aussi à introduire comme en écho de la fiction, tel ce personnage d’Amérindienne qui parcourt le roman. C’était pour moi une nécessité analogique et poétique, liée à ma mère." Cette mère "exagérée", Hélène Ling la voit comme Gena Rowlands dans Une femme sous influence. Et tout le livre avec elle bascule dans une belle "impureté", qui se refuse aux simples causes et conséquences, et peut faire penser ainsi au W ou Le souvenir d’enfance de Perec.

Transfiguration par l’écriture

En fait d’enfance, Hélène Ling est née d’une mère taïwanaise donc, et d’un père chinois, mais né à Tahiti de nationalité française. Elle grandit dans le quartier des Ternes, à Paris, fréquente le lycée Carnot et dépeint son appartement d’enfance comme "un îlot de "foutraquerie" dans cet ensemble alors encore haussmannien". Elle déteste l’école (ce qui l’amènera assez logiquement jusqu’à l’agrégation de lettres modernes et l’enseignement) et lit tout ce qui lui tombe sous la main dans un joyeux désordre : les lots de livres les plus divers achetés par ses parents, des poèmes de Verlaine, plus tard des Dialogues de Platon et Virginia Woolf ("une femme qui a entièrement assumé l’aventure moderne").

Si l’écriture de celle qui lit aujourd’hui Proust, Faulkner, Lobo Antunes, Volodine ou Arno Schmidt peut apparaître comme formaliste, c’est parce que "dès lors que le matériau vivant et sensible est un bien commun, c’est la forme seule qui donne du sens". De fait, cette foi dans les pouvoirs chamaniques et de transfiguration de l’écriture est magnifique. On parierait bien qu’Hélène Ling désormais ne se quittera plus.

Olivier Mony

Ombre chinoise, d’Hélène Ling, Rivages. Prix : 19,50 €, 335 p. Sortie : 3 janvier. ISBN : 978-2-7436-4230-3

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