Une femme vue de dos. « Je ne suis pas clairement conscient que mes parents sont séparés, encore moins divorcés, d'ailleurs rien n'est franchement clair chez nous. Quand ma mère est présente, elle reçoit les amis et amies de mon père comme si elle les avait invités elle-même. Elle joue la maîtresse de maison, fait le plan de table, lance les sujets de conversation. Mon père la laisse faire, baissant les yeux sur son assiette. Après quoi ma mère, comme toujours, s'évapore. »

Les incertitudes du récit de formation, ce chien et loup permanent du réel comme noyé dans les brumes de l'enfance, Michka Assayas en a fait mieux qu'une esthétique, peut-être déjà une œuvre. Une œuvre née ainsi, dans cette sorte de confession à demi-voix, avec Les années vides et Dans sa peau (Gallimard, 1990 et 1994), poursuivie notamment avec l'admirable Faute d'identité (Grasset, 2011) et Un autre monde (Rivages, 2016), et qui trouve aujourd'hui après neuf ans de silence (du moins d'un point de vue romanesque puisqu'il écrit sur le rock et anime chaque jour sur France Inter l'émission « Very Good Trip »), une sorte d'aboutissement avec ce très séduisant et mélancolique à la fois Une mère en fuite.

Sur la couverture du livre, une femme vue de dos, qui s'éloigne. C'est la mère de l'auteur lequel explique ne l'avoir jamais vraiment vue qu'ainsi, à distance. Qui était-elle, cette femme qui ne laissa pas même ses enfants (Michka donc, et son frère Olivier, futur cinéaste) la connaître vraiment ? D'origine hongroise, styliste pour Hermès, belle et n'étant guère encline à laisser apparaître ses émotions, d'un snobisme qui lui serait presque comme une souffrance, elle partage sa vie entre Paris, la semaine, et la vallée de Chevreuse, dans la propriété de son ex-mari pour y retrouver ses deux fils, le week-end. Une passion tout de même, tue elle aussi et tout ce qu'il y a de plus platonique, pour André Malraux, dont elle fut un temps comme une dame de compagnie, ainsi que pour sa compagne, la fascinante Louise de Vilmorin. Au milieu de tout cela, le jeune Michka vit, grandit, désire. Il est d'ici et de nulle part. Il écrit : « Mais quel était mon milieu, au juste ? Je ne l'ai jamais su vraiment. Je n'étais au milieu de rien et dans les marges de tout. » À la place, déjà, d'un écrivain.