À l’image de nombreuses librairies indépendantes fragilisées par une conjoncture économique morose et des équilibres financiers de plus en plus précaires, la librairie El Ghorba mon amour, située à Nanterre, traverse une zone de fortes turbulences. Fin novembre, l’équipe – composée d’Elsa Piacentino, d'Halima M’Birik et de Lucie Guardos – a choisi de rendre publiques ses difficultés financières, à travers un long message publié sur Instagram, dans lequel elle alertait sur la fragilisation croissante de sa trésorerie et appelait ses lecteurs et lectrices à la soutenir.
Un appel largement entendu : « Il y a eu une très grande mobilisation des nantériens, qui ont fait preuve d'une grande solidarité. Depuis le lancement de notre appel, nous avons, tous les jours, beaucoup de passage et beaucoup de commandes », se réjouit Halima M'Birik, auprès de Livres Hebdo. L'élan de solidarité s'est, en effet, organisé à travers une grande diversité de réseaux locaux : club de football de la ville, associations de parents d’élèves, campus universitaire, boucles WhatsApp de quartier ou encore réseaux sociaux, sur lesquels le message a été massivement relayé par ce que la libraire appelle, avec affection, les « ami.es de la librairie ». « Ça nous a mis beaucoup de baume au cœur », commente Halima M'Birik.
Cette mobilisation a surtout illustré l’attachement profond des habitants pour le livre, et plus particulièrement pour la librairie, et par le projet singulier et engagé qu'elle défend. Fondée il y a cinq ans sur les vestiges du bidonville de La Folie, qui abritait dans les années 1990 plusieurs milliers d’immigrés, El Ghorba mon amour a fait de la mémoire locale et des luttes sociales un axe central de son identité. Elle a notamment consacré une partie de son espace à un rayon « Nanterrologie », très apprécié des étudiants et des chercheurs, et qui lui a valu, entre autre chose, le Grand Prix Livres Hebdo des librairies 2025.
Une subvention exceptionnelle de 10 000 euros
Sur le plan économique, l’élan de solidarité a également permis de redresser la situation de l'enseigne. « Depuis, on a bien remonté la pente, en renouant avec des niveaux de chiffres similaires à ceux de l'année dernière, ce qui nous permet d'aborder l'année 2026 plus sereinement », explique Halima M'Birik. A cela s'est ajoutée une subvention municipale exceptionnelle de 10 000 euros, demandée par la librairie, en septembre dernier, sur les conseils de l'Adelc. Une aide qui s'inscrit dans le cadre de la loi Darcos ; laquelle permet aux communes et aux intercommunalités d'attribuer, dans certaines conditions, des subventions aux librairies indépendantes pour « permettre le maintien d’une offre culturelle de proximité de qualité dans les communes petites et moyennes ».
Une aide d’autant plus cruciale qu’au même moment, la région privait la librairie d'une subvention annuelle destinée à la valorisation du fonds, notamment du fonds de théâtre, plus difficile à écouler. Pour autant, Halima M'Birik reste lucide : la mobilisation, aussi forte soit-elle, ne saurait suffire à garantir l’équilibre financier à long terme. « D’autres problématiques, plus structurelles, devront être posées. Il faudra, par exemple, s'interroger sur comment faire venir une nouvelle clientèlre et comment remporter de nouveaux marchés », estime-t-elle.
Car les diffiucultés ne sont pas nouvelles pour l'enseigne. Dans sa publication de fin novembre, celle-ci évoquait, à ce titre, plusieurs facteurs concomitants tels que l’arrivée d’une nouvelle enseigne concurrente dans le centre-ville de Nanterre ou encore l’augmentation du loyer et des charges locatives. « Tout ça dans contexte de baisse pour l’ensemble de la filière Livre et de concentration du marché », avait-elle alors déploré, faisant écho à une situation largement partagée, ces derniers mois, par les librairies indépendantes.
La réduction du loyer, nouveau front de lutte
En ce sens, l’équipe de la librairie souhaite, dès que les fêtes de fin d'année seront passées, anticiper les échéances à venir. « Quand la fréquentation reviendra à la normale, nous ne serons plus en urgence financière, mais il nous faudra engager certaines pistes pour anticiper 2027 », précise Halima M'Birik. Parmi les chantiers majeurs à venir : le coût du loyer. « Le quartier a été transformé il y a une dizaine d’années dans le cadre d’un renouvellement urbain. Or, les loyers sont onéreux et mal adaptés à un commerce comme celui de la librairie. D'autant plus que la nôtre est située dans un quartier plutôt populaire », souligne la libraire.
Les négociations avec le bailleur se poursuivront donc au lendemain de cette période particulièrement décisive pour la librairie, qui, habituellement, réalise jusqu'à 25% de son chiffre d'affaires annuel. Cette année encore, l'objectif est clair : réaliser « un véritable jackpot de Noël ».
