Avant-critique Roman noir

Olivier Barde-Cabuçon, "Hollywood s'en va en guerre" (Gallimard)

Olivier Barde-Cabuçon - Photo © Francesca Mantovani/Gallimard

Olivier Barde-Cabuçon, "Hollywood s'en va en guerre" (Gallimard)

Sur fond de film noir, Olivier Barde-Cabuçon novélise l'influence d'Hollywood sur l'intervention américaine dans la Seconde Guerre mondiale.

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Par Jean-Luc Manet,
Créé le 17.03.2023 à 09h00

California über alles. Lana + Lola = Lala. Le prénom du premier rôle féminin ne laisse planer aucun doute. On est bien à Hollywood, en 1941. La vieille Europe est en guerre mais le parti républicain américain refuse d'en entendre parler, accroché à son slogan d'alors, « America first », à traduire par un « on s'en fout » égoïste dont un autre président orange fera ses choux gras bien plus tard. On n'en est temporellement pas là lorsque la petite maison de production indépendante Lindqvist se voit confier par des démocrates proches de Franklin Roosevelt la réalisation d'un film de quasi-propagande belliqueuse. Il faut dire que la hiérarchie des studios de la Côte ouest, d'obédience majoritairement judaïque, se hérisse légitimement face aux exactions du cinglé de la Wehrmacht. Et c'est la flamboyante Lala qui est choisie pour devenir l'avantageux étendard des partisans de la riposte intercontinentale.

Vicky Mallone, la détective privée lesbienne au nom calibré pour le job, n'est pas en reste au casting. Elle endosse même la fonction de narratrice de ce roman particulièrement bien mené où louvoie une impressionnante cohorte de personnages croqués avec soin. Si Vicky se glisse comme il se doit dans l'imperméable du Humphrey Bogart version Faucon maltais, les autres têtes d'affiche n'ont rien à lui envier. Errol Flynn passe faire bonne figure et figuration, Edward Hopper pose son chevalet à plusieurs reprises filigranées, le décevant aviateur Charles Lindbergh déclame ses tirades pronazies, Rita Hayworth et Marlene Dietrich sont des anges bruns ou bleus, et les treize lettres (à l'époque) d'HOLLYWOODLAND veillent sur la vallée et ses déesses aux facettes encore plus scintillantes que celles d'une boule de discothèque.

À partir d'une sombre affaire sous-jacente de photos volées, le Tout-Los Angeles défile sous les yeux de notre détective, condamnée à slalomer de fausses pistes en vrais ennuis, d'invitations mondaines en situations beaucoup plus périlleuses. Nous noterons de fait chez Vicky un vaporeux côté Tintin, souligné par une utilisation très mesurée de la vulgarité, du sexe, de la violence et de la mort brutale, comme pour respecter les règles du code Hays, sorte de guide moral rédigé en mars 1930 par un presbytérien républicain pour canaliser les droits et les devoirs des réalisateurs américains. Ainsi, parfaitement raccord avec l'imagerie du noir et blanc cinématographique d'hier, Olivier Barde-Cabuçon nous invite avec tact et retenue au sein d'une mêlée faite de grandes raisons d'État et de plus petits secrets familiaux. Un père, un fils, une sœur, une amante, des mensonges, des silences : on tourne.

Toujours servi par de jolies phrases pastel qui tranchent sur un propos forcément anthracite, émaillé de souriants clins d'œil au cinéma français (ces citations des Tontons flingueurs, du Corniaud...), divertissant et brillant à la fois, Hollywood s'en va en guerre recèle autant de poudre que de sucre dans son impeccable barillet. Savant dosage : sûr et séduisant, conforme à celui des cocktails capiteux que Vicky enchaîne à longueur de pages. Nous ne pouvons d'ailleurs qu'adhérer à un romancier qui orthographie correctement le whiskey lorsqu'il est irlandais.

Olivier Barde-Cabuçon
Hollywood s'en va en guerre
Gallimard
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 19 € ; 410 p.
ISBN: 9782072960925

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