3 mars > Roman France

"J’ai aimé passionnément mon père." Ces mots du narrateur à son psychiatre ouvrent Barbe rose de Mathieu Simonet. Deux ou trois phrases plus loin, on retrouve le même narrateur avant une séance d’hypnose, donnant les raisons d’une telle démarche : "Je ne pense pas que mon père m’ait violé mais j’aimerais savoir." Il avait été prévenu au téléphone : "On ne remonte pas à la petite enfance avec l’hypnose." Et le narrateur - comme le lecteur - de rester sur sa faim dès la première page. Faim qui n’est autre que le désir d’en savoir plus, de dénouer les nœuds de cette relation père-fils ultracompliquée, passionnelle, littéraire : le père écrivain qui n’a jamais réussi à publier, déclaré schizophrène et interné à la naissance du fils, celui-ci avocat et tuteur légal de son propre père, écrivain qui ne cesse d’être sous influence littéraire du géniteur, littéralement puisqu’il émaille le récit d’extraits du journal paternel et de la correspondance de l’écrivain manqué avec Jean Cayrol. Barbe rose ("Ce roman sur mon père. Pour mon père. Sans mon père") fait suite, ou plutôt compose un nouveau panneau du polyptyque autofictionnel commencé avec Les carnets blancs (Seuil, 2010), le premier roman de Mathieu Simonet où, déjà, le récit du moi se composait de journaux intimes mettant en scène un père schizophrène, une mère alcoolique et atteinte d’un cancer, sa grand-mère, ses amis, ses amants… Dans La maternité (2012), il racontait ces mêmes dramatis personae de la famille mais à travers le prisme de l’agonie de la mère et de son décès des suites de sa maladie.

Au commencement était la différence, voire l’antagonisme. La mère : milieu bourgeois, traditionaliste ; le père : milieu pied-noir plus modeste, "plouc" selon "Manou", l’aïeule maternelle. Le père poétique et loufoque, rosicrucien, bouddhiste, un temps prof d’anglais, souvent en hôpital psychiatrique, polyglotte ; la mère fonctionnaire, pragmatique, alcoolique. A la naissance de Mathieu, le père part au Pérou et revient fou, manque étrangler sa femme devant Quentin, leur fils cadet âgé de 4 ans ; puis il menace de les tuer tous avec un couteau. La mère s’enfuit avec les deux enfants.

Mais le drame est loin de suivre la chronologie des faits, et Mathieu Simonet mêle à la question qui le taraude des réflexions sur la vérité d’un individu, son homosexualité, la littérature comme remède : "L’écriture est un pansement que je pose sur ma bouche."

Sean J. Rose

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