Avant-portrait

Le drôle de zèbre que l’on rejoint dans un bureau de son éditrice Sabine Wespieser habite depuis cinq ans et demi à Kreuzberg, dans l’ancien Berlin-Ouest, près de l’aéroport Tempelhof. François Jonquet est de retour dans la capitale pour la sortie des Vrais paradis. Un formidable roman autobiographique ancré dans la Ville lumière en plein cœur des années Palace. Là où, originaire de Châlons-en-Champagne, il a débarqué à la fin d’une adolescence "d’un ennui mortel" !

Le jeune François est issu d’une double dynastie de notaires et de producteurs de champagne. Boisson dont il avoue faire toujours une bonne consommation. Son enfance est bourgeoise, sa scolarité "un peu cancre". Littéraire, il le devient vite. Dès sa découverte d’Un portrait dans le sable, une enquête des sœurs Parker par Caroline Quine dans la "Bibliothèque verte", qui le happe, avant qu’il ne succombe à la magie du Grand Meaulnes.

Son objectif d’alors est simple : devenir journaliste, voyager, rencontrer des gens. Bac en poche, le voici en 1977 pensionnaire au collège Stanislas dont il n’a pas oublié la devise : "Français sans peur, chrétien sans reproche". Les études de droit se révèlent "un cauchemar". Si bien que le petit provincial commence à sortir la nuit. Cela devient bientôt une "activité à plein-temps" pour un garçon aimanté vers le Palace. L’établissement culte de la rue du Faubourg-Montmartre rebaptisé "la Porte Rouge" dans Les vrais paradis.

Après son diplôme de Science po, il pose un pied à Allons z’idées, le "shadow cabinet" du ministre de la Culture d’alors, Jack Lang, dont la fille Valérie est sa meilleure amie. François Jonquet colle des enveloppes, croise Charles Trenet et Dominique Jamet qui l’engage au service télé du Quotidien de Paris. Un journal qui lui offre d’interviewer Alberto Moravia au théâtre de l’Odéon, ou Jane Campion et Peter Handke au Festival de Cannes.

La presse, il a continué à y travailler à Globe, où il a signé un grand article sur Hervé Guibert peu avant la parution de A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, et à L’Evénement du jeudi en qualité de chef du service cinéma. C’est grâce à l’un de ses papiers qu’il fait la connaissance du tandem anglais Gilbert & George avec qui il voyagera à Pékin en 1993 et réalisera un livre d’entretiens coédité par Denoël et Phaidon en 2004. Logique, quand on sait que son premier ouvrage, publié au Cercle d’art en 1992, était une monographie du sculpteur Philippe Hiquily.

"Dans le potage".

Les vrais paradis, il l’avait en tête depuis belle lurette. Et en avait griffonné les premières pages avant de s’atteler à la préparation de Jenny Bel’Air, une créature (Pauvert, 2001), sélectionné par le jury du prix Femina sous l’impulsion de Diane de Margerie. La biographie croisée de la gouailleuse physionomiste du Palace, "tantôt homme, tantôt femme, noire et blanche à la fois", qui était sa voisine dans le 18e arrondissement. Un personnage atypique en qui il voit "la forme la plus achevée du dandysme".

Chez Sabine Wespieser, où il est arrivé grâce à Vincent Borel, collègue de Nova Magazine, il donne d’abord Et me voici vivant (2006). Un texte autobiographique né d’un plongeon dans la folie, d’un passage à Saint-Anne, dans le secteur fermé, de "quelques années dans le potage". Puis il y a eu l’éclatant Daniel (2008), portrait serré d’un comédien hors norme, Daniel Emilfork, "narcissique, égocentrique". Un être "en dehors des calculs, à part", croisé une première fois de dos dans le métro à la station Lamarck-Caulaincourt et visité ensuite, en haut de la butte Montmartre, jusqu’à sa mort.

François Jonquet dit n’écrire jamais "dans la légèreté". Les vrais paradis lui a demandé quatre ans de labeur. Et lui a permis de fantasmer un Paris d’autrefois dans un roman où "presque tout est vrai", hormis "quelques aises avec la chronologie". Ce "trip littéraire", qui parle de "l’idée de la fête, avec ses degrés de drames", peut aussi se lire comme un livre sur l’identité. Il l’a tapé directement à l’ordinateur. Sur un "vieux Mac historique, sans connexion Internet !". Pour la suite, il hésite encore. Mais songe à un autre retour en arrière. A quelque chose qui aurait pour cadre la maison de son enfance perdue dans l’est. Alexandre Fillon

Les vrais paradis, François Jonquet, Sabine Wespieser éditeur, 253 p., 20 euros, ISBN : 978-2-84805-162-8. Sortie : 6 mars.

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