Poussière d'étoile. La photographie a ceci de commun avec l'écriture : elle a à voir avec le temps. La photo exprime la présence de ce qui n'est déjà plus ou qui est voué à ne plus être. De la même manière, les mots de l'écrivain redonnent chair aux fantômes du passé et tentent de retenir l'être qui s'en va. Péter Nádas est photographe et écrivain. Né en 1942 à Budapest, il est de ceux qui ont connu la photographie argentique comme les machines à écrire. Nádas est passé depuis au numérique, et on imagine qu'il utilise le traitement de texte. Mais dans ses images en noir et blanc, quelle qu'ait été la technique employée, reviennent comme des leitmotivs les muets témoins du quotidien : un banc, un arbre, une route... Dans Ce qui lui luit dans les ténèbres, que les éditions Noir sur Blanc publient dans une superbe traduction, il s'agit encore de lieux de mémoire. L'auteur d'Histoires parallèles (Plon, 2012) compose ici un monumental récit autobiographique - un millier de pages - à partir du passé familial, de fragments d'enfance, des événements politiques de la Hongrie qui s'entrelacent avec son vécu. Ainsi remontent les « souvenirs de la vie d'un narrateur » jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale. Nádas avait 2 ans lors du siège de Budapest. Adulte, il assure se rappeler telle chose ; sa vieille tante Magda rit : c'est impossible, dit-elle. Peu lui chaut : « La littérature narrative nous donne une image bien différente de ce que sont la mécanique du souvenir, la topographie de la mémoire. » Alentour n'apparaissent que ruines : « Les moignons des ponts bombardés crèvent les eaux du Danube. Ainsi va ma vie. »
Parmi les aïeux de Péter Nádas, des Juifs de la Mitteleuropa, on trouve des commerçants, des orfèvres, des ingénieurs : des Israélites assimilés de l'ancien empire austro-hongrois. Dans cette famille aux rites bourgeois et à la morale stoïque, on croit à la rationalité et au progrès, les femmes sont éduquées, voire sont des intellectuelles comme Magda la tante paternelle susmentionnée- une communiste en chapeau à voilette. Les parents de Nádas, communistes eux aussi, sont des résistants antinazis. Les dés du destin roulent, tragiques, comme l'Histoire. Tombera le rideau de fer tel un couperet, un jour les chars soviétiques envahiront la Hongrie. La mère meurt des suites d'un cancer, le père à qui on intente un procès politique se suicide. À 16 ans, Péter est orphelin. Il devient apprenti photographe. Et tout l'art de Nádas est de capturer les détails d'existences qu'il réussit à faire vibrer longtemps après que les êtres dont émane cette poussière d'étoile ont disparu.
Ce qui luit dans les ténèbres. Souvenirs de la vie d'un narrateur
Noir sur blanc
Traduit de l’hongrois par Sophie Aude
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 34 € ; 1180 p.
ISBN: 9782889830565