Dynasty 2/6

Peyo père, fils et fille : une famille de Schtroumpfs

Peyo et son fils, Thierry Culliford, en 1990. - Photo DR/ARCHIVES LIVRES HEBDO

Peyo père, fils et fille : une famille de Schtroumpfs

Au terme d'une transmission en douceur, mais qui n'était pas forcément naturelle, Thierry et Véronique Culliford gèrent avec succès l'héritage artistique et commercial de leur père, Pierre Culliford, dit Peyo, décédé en 1992. Deuxième volet de la série deLivres Hebdosur les dynasties d'auteurs. _ par

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Par Benjamin Roure,
Créé le 18.04.2019 à 22h30

Il était une fois un méticuleux artisan belge qui avait fait naître de sa plume des petites créatures bleues pour amuser les enfants. Des Schtroumpfs qui allaient conquérir le monde, mais aussi l'enchaîner à sa table à dessin. Peyo, né Pierre Culliford en 1928 dans la commune bruxelloise de Schaerbeek, était ainsi. Amoureux de son travail, fasciné par ses créations et soucieux de leur devenir, comme de celui de ses enfants. Il sera auteur de bandes dessinées et chef de famille.

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Comme cela se pratiquait alors communément, Peyo travaille en famille. Il demande à Nine, épousée en 1951, de mettre en couleurs ses planches, tâche dont elle s'acquittera toute sa vie. Et avec inspiration : le bleu des Schtroumpfs, c'est elle ! Nine sera son épouse, sa collaboratrice et la mère de ses enfants, Thierry et Véronique. Elle couvera aussi les auteurs qui viendront épauler Peyo sur les nombreuses séries qu'il devait mener de front, Johan et Pirlouit, Benoît Brisefer et Les Schtroum-pfs. « Nine, c'était ma maman de Belgique, se souvient le dessinateur Derib. Quand j'ai débarqué de ma Suisse natale à 19 ans, j'étais rassuré de retrouver un vrai cocon familial. »

En effet, Peyo planche sur ses BD à domicile. « Avant d'avoir un gros studio, il a toujours travaillé à la maison, confirme Thierry Culliford. Jusqu'en 1963, nous habitions dans un appartement et son studio était une minuscule chambre de bonne sur le palier. Quand nous avons déménagé dans la maison qu'il avait fait construire, à 500 mètres, un quart de l'étage était dédié à l'espace de travail qui pouvait accueillir, en plus du bureau de mon père, quatre dessinateurs, dont Derib, Walthéry, Wasterlain... » La famille Culliford baigne dans le dessin en permanence, sous l'œil exigeant du besogneux patriarche. « Peyo était quelqu'un de très occupé, et parfois dur, reprend Derib. On travaillait souvent tard dans la nuit. Sous la surcharge de travail, il pouvait nous reprocher ses propres erreurs de dessin ! Heureusement, Nine était là pour arrondir les angles. Tous les deux formaient un couple idéal, jamais un mot plus haut que l'autre. Nine m'a confié, plus tard, que cette période où tout le monde travaillait dans la maison familiale avait été la plus belle de leur vie. »

Dans un nuage de fumée bleue

En rentrant de l'école, avant de monter faire ses devoirs, Thierry faisait souvent le détour par l'atelier. « J'entrais dans un nuage de fumée bleue ! Mon père fumait des Johnson sans filtre, avec Delporte et Gos. On aurait dit la scène du sauna de La Grande Vadrouille ! Mais j'aimais traîner là, griffonner un peu avec les collaborateurs de mon père, souvent absent ou occupé. Le dessin ne me passionnait pas plus que cela, mais l'ambiance était très amusante. Et puis, je pouvais boire le Coca Cola d'Yvan Delporte ! » Né dans cet univers, le jeune Thierry conçoit qu'il est atypique, mais n'en tire aucune gloire particulière. « Je ne voyais pas mon père comme une star, et les copains que j'amenais à la maison constataient qu'il ressemblait davantage à un agent d'assurance qu'à un clown. » Adolescent, l'aîné ne se voit pas du tout prendre ce chemin. Dans la biographie Peyo l'enchanteur, d'Hugues Dayez (Niffle, 2018), Nine Culliford explique cette première transmission ratée. « Je me souviens que, tout jeune, [Thierry] avait dessiné une planche assez drôle avec des squelettes qu'il avait soumise à son père. Et Pierre lui a dit :  "C'est très bien, mais pour cette case-là, tu vois, tu devrais plutôt faire comme ceci..."  Et il a tout corrigé. Thierry n'a pas dit un mot, il est descendu du bureau de son père et il a déchiré sa planche. Mon mari avait voulu lui donner des conseils, mais c'était tombé à côté : mon fils n'a plus jamais dessiné de BD. »

Pourtant, vers 13 ans, Thierry Culliford rencontre Fred Jannin qui, lui, veut devenir dessinateur. Ensemble, ils font leurs armes dans le dessin d'humour et la caricature. Peyo regarde ça de loin et aide Jannin à progresser. Puis, ce sont les années 1970. Les gamins écoutent du rock, et le papa, déjà bien surmené, n'y comprend pas grand-chose. Mais quand Yvan Delporte lance Le Trombone illustré, détonnant supplément à Spirou, les deux jeunes gens proposent une série qui parle de leur génération, Germain et nous. Dessinée par Jannin et écrite par Thierry Culliford, la BD séduit Peyo, qui se reconnaît, sans en prendre ombrage, dans un personnage de papa en perpétuel conflit avec son fils... « Je pense qu'il était content de voir que son fils se mettait à scénariser une bande dessinée », a raconté Fred Jannin à Hugues Dayez. A tel point que, constatant que son rejeton piétine dans ses études d'architecture d'intérieur, il lui confie une mission d'importance au tournant des années 1980 : faire le lien entre la Belgique et les Etats-Unis, alors que les studios Hanna-Barbera lancent le dessin animé des Schtroumpfs, qui allait transformer la familiale bande dessinée en licence mondiale. « C'était une preuve de confiance. Et une façon de me mettre le nez dedans », sourit Thierry Culliford. Il vient vite renforcer l'équipe de création des Schtroumpfs. « Mon père était débordé et j'ai accepté d'écrire des histoires courtes pour le dépanner, pensant trouver ensuite ma voie ailleurs. Mais je me suis pris au jeu et je l'ai aidé à constituer son studio. »

Le schtroumpf qui ne savait pas déléguer

Cette transmission en douceur doit répondre à une urgence : sauver la santé de Peyo, qui se détériore à grande vitesse. Véronique Culliford , elle aussi, vient à la rescousse. Secrétaire de direction, elle commence par s'occuper de la paperasse en retard, un jour par semaine. Puis elle fonde IMPS, la société qui s'occupe, encore aujourd'hui, de la gestion des licences des personnages créés par Peyo. Un magazine est lancé, une maison d'édition aussi, Cartoon Creation, suite à la rupture avec Dupuis. Mais ce sera un échec commercial. Un contrat est dès lors signé avec Le Lombard pour de nouveaux albums. La famille fait bloc autour de Peyo. « Désirant tout gérer, mon père s'est laissé ronger par son travail. Pendant vingt ans, il n'a plus eu de vie personnelle, soupire Thierry Culliford. Alors, nous avons tout fait pour qu'il soit déchargé de tout ce qui n'était pas de la BD, afin qu'il puisse dessiner à nouveau. Son regard sur moi avait aussi changé. Je crois qu'il constatait que nous faisions du bon travail. Et nous avons pu réaliser ensemble Le Schtroumpf financier. » Hélas, Peyo meurt quelques semaines après la sortie du livre, la veille de Noël 1992. Depuis, Thierry chapeaute la création des BD, Véronique gère les droits et licences. Et l'entreprise est florissante, avec un nouvel album des Schtroumpfs chaque année, et des longs-métrages qui ont battu des records d'audience. « Nous n'étions pas destinés à perpétuer l'héritage de notre père, résume Thierry Culliford. Mais nous l'avons fait. Avec passion. Comme disait mon père : "Les Schtroumpfs et mes autres personnages, ce n'est pas à nous : c'est nous." »

Mais les deux enfants ont aujourd'hui dépassé la soixantaine, et la question de la transmission se pose à nouveau. Les Schtroumpfs, c'est une histoire de famille, depuis leur naissance. Pourrait-il en être autrement ?« Avec Véronique, nous avons chacun trois enfants, mais aucun ne semble intéressé à reprendre l'affaire, confie Thierry.J'avoue que nous n'aimons pas mettre cette question sur la table. Pourtant, il faudra bien le faire un jour... »

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