Histoire

Pierre Vidal-Naquet et la censure (4/4)

Pierre Vidal-Naquet et la censure (4/4)

La Guerre d'Algérie, la dénonciation de la torture, et la censure qui revient dans la lumière. Dernier épisode de la série autour de l'historien Pierre Vidal-Naquet et de ses combats.

Troisième épisode: Pierre Vidal-Naquet et la censure

Pour les défenseurs de la loi Gayssot, ériger une « loi mémorielle », permet d’éviter de transférer aux autorités judiciaires un pouvoir d’établissement de la « réalité » de l’histoire. Ils estiment que comme le texte légal se réfère expressément aux condamnations du tribunal de Nuremberg, la juridiction n’a plus à examiner  les faits historiques.

Mais, cette restriction pose question par le seul fait qu’elle s’identifie nécessairement à une forme de censure car sous une unanimité de façade – condensée dans l’impératif du « plus jamais ça » – le législateur français (comme la plupart des législateurs européens) a posé un choix aux conséquences importantes. D’une part, la référence explicite aux seuls crimes reconnus par le tribunal militaire de Nuremberg limite le champ d’application de la loi : seules les négations de la Shoah et de ces crimes peuvent être poursuivies en application de la loi Gayssot. D’autre part, cette référence prend parti dans le débat polémique sur le thème de l'unicité absolue de la Shoah. Le risque est évidemment d’induire une réelle impunité en « faveur » des négationnistes d’autres génocides. 

Pierre Vidal-Naquet est mort en 2006. Il a suivi la décision de la Cour européenne des droits de l’homme, rendue en 2003 dans l’affaire Garaudy.
         
Pour mémoire - et ici, le mot n’est pas vain, le philosophe Roger Garaudy avait, fin 1995, publié d’abord à La Vieille Taupe, célèbre officine négationniste aujourd’hui disparue, puis, peu après, un livre au titre évocateur : Les Mythes fondateurs de la politique israélienne. Plusieurs associations, notamment de déportés comme de résistants, suivies du parquet, se sont saisies judiciairement de ce brûlot, à ranger au même rang que les élucubrations du Protocole des sages de Sion. Cinq informations judiciaires ont été ouvertes. Et Roger Garaudy a dû répondre des délits de contestation de crimes contre l’humanité, de provocation à la haine ou à la violence raciale, ainsi que de diffamation publique raciale.

La chambre de la presse a condamné l’auteur du brûlot pour la majeure partie des chefs de poursuite. La cour d’appel de Paris amplifia la sanction, le 16 décembre 1998, en retenant à son encontre, par cinq décisions concomitantes, la totalité des délits visés. Les magistrats en ont donc conclu à de la prison avec sursis, à des amendes, à des publications judiciaires et au versement de dommages-intérêts. Le 12 septembre 2000, la Cour de cassation rejetait tous les pourvois formés par l’intéressé. Celui-ci se tourna alors vers la Cour européenne des droits de l’homme.

Boomerang

La Cour de Strasbourg a mis fin à l’affaire Garaudy, le 24 juin 2003, dans une certaine indifférence. La décision ne manque pourtant pas d’intérêt, autant juridique que politique. Roger Garaudy invoquait l’article 10 de la Convention européenne, relatif à la liberté d’expression. La Cour européenne considère que, « concernant la liberté d’expression », « si sa jurisprudence a consacré le caractère éminent et essentiel de celle-ci dans une société démocratique (…) elle en a également défini les limites ». Selon elle, « il ne fait aucun doute qu’à l’égal de tout autre propos dirigé contre les valeurs qui sous-tendent la Convention, la justification d’une politique pronazie ne saurait bénéficier de la protection de l’article 10 » ; la juridiction en profite pour fustiger vertement la « négation ou la révision » de « faits historiques clairement établis – tels que l’Holocauste ». Les juges ajoutent que le livre de Garaudy s’inscrit bien dans cette ligne et non dans une simple dénonciation de la politique israélienne, comme tentait de le soutenir « l’auteur ».

Des juristes et des historiens insoupçonnables, dont Pierre Vidal-Naquet, se sont émus de la légitimité que cherchent à tirer d’une telle interdiction ceux qu’elle entend combattre et qui crient d’autant plus facilement à la censure que leurs fantasmes nauséabonds, désormais prohibés, ne peuvent être démontés pour l’édification des plus jeunes. 

Voilà donc une vie, celle de Pierre Vidal-Naquet, porteuse d’engagements pour la plupart déterminants. 
 

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