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Plaidoyer pour la diversité au Congrès mondial des écrivains de langue française

Laurent Gaudé et Leila Slimani en ouverture du Congrès mondial des écrivains de langue française à Tunis - Photo Modjo - Institut français de Tunisie - Septembre 2021

Plaidoyer pour la diversité au Congrès mondial des écrivains de langue française

Grâce à Etonnants voyageurs, le premier Congrès mondial des écrivains de langue française s'est tenu à Tunis les 25 et 26 septembre. Débats nécessaires et rencontres chaleureuses ont ponctué le week-end et concrétisé le vieux rêve de Michel le Bris d'une littérature monde en français, et sans frontières.

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Par Vincy Thomas, Tunis
Créé le 27.09.2021 à 18h00

Le Congrès mondial des écrivains de langue française s’est déroulé les 25 et 26 septembre à Tunis. Malgré les lourdes contraintes sanitaires imposées par le pays au dernier moment, une trentaine d’auteurs ont pu faire le déplacement pour participer aux débats, grands entretiens et rencontres, dans une atmosphère chaleureuse (au-dessus des 30 degrés), généreuse mais aussi houleuse.
 
Ce congrès est l’aboutissement d’un long processus amorcé en 2007 par Michel Le Bris, fondateur d’Etonnants voyageurs, organisateur du congrès. Disparu en février dernier, sa fille Mélanie Le Bris a repris le flambeau avec la même conviction. Dans son manifeste pour une Littérature monde en français, il avait souhaité ouvrir la littérature française à tous les écrivains francophones. A l’instigation de Leïla Slimani, représentante pour la francophonie auprès d’Emmanuel Macron, le congrès se voulait à la fois lieu d’échange et ode à la diversité. En ouverture du congrès, l’écrivaine, Prix Goncourt en 2016, s’est donnée comme mission de « déringardiser la francophonie ».
 
Débats passionnés

Etonnants Voyageurs n’a pas hésité à confronter les points de vue avec des débats aux titres provocateurs : « Le francophone est-il un traître ? »,  « Le Français, un butin de guerre », « Toute langue est étrangère à elle-même » ou encore « Y a-t-il des valeurs universelles ? ». Les réponses étaient souvent passionnantes et éloignées des clichés généralement colportés. Emancipation des femmes ou sociale, effets de la colonisation et de la décolonisation, identité et migrations : la culture « woke » l’intersectionnalité ou encore la prédation se sont invitées dans les conversations.
 
Car loin du langage courtois et institutionnel des Etats généraux du livre en langue française, qui avaient lieu les deux jours précédents dans cette même Cité de la culture de la capitale tunisienne, les auteurs n’ont pas hésité à exprimer leurs désaccords. Dès le samedi matin, Beate Umubyeyi Mairesse a clouée au pilori les opinions de Rachel Kahn, qui, en visioconférence, n’a pas pu répliquer et a préféré quitter ce « tribunal » improvisé. Le lendemain, c’est Ali Bécheur qui s’énerve et veut quitter la salle… Les divisions étaient flagrantes, notamment entre ancienne et nouvelle génération, ceux qui ont d’abord appris le Français et ceux qui se le sont appropriés pour pouvoir s’exprimer librement. La littérature permettait souvent de cicatriser les blessures d'auteurs à fleur de peau.
 
Rachel Kahn en visioconférence lors du Congrès mondial des écrivains en langue française- Photo VINCY THOMAS / LH

Auteurs sans frontières

Au-delà de ces deux épiphénomènes, on retient surtout chez les écrivains une envie de partager leurs expériences, leurs parcours, leurs visions d’un monde francophone sans frontières et d’une pluralité des points de vue nécessaire. « Le français n’est pas une langue maternelle, ce n’est pas une langue paternelle, mais elle peut-être une langue fraternelle » assène ainsi Kamel Daoud. Il rejoint ainsi le point de vue de Leïla Slimani pour qui « Apprendre le français, c’est ne trahir personne ». « On gagne en humanité à chaque fois qu’on apprend une langue » ajoute-t-elle.
 
Il y aurait donc deux langues, celle de la vie et celle de l’écriture. L’écriture devient ainsi libératrice et rejoint les valeurs des Lumières pour nombre de ces écrivains et écrivaines, qui peuvent ainsi s’exprimer sur des sujets parfois considérés comme tabous dans leur culture d’origine. « Ecrire en français m’a permis d’être plus subversive » explique Leila Slimani, rejointe par Meryem Alaoui : « Le Français m’a fait casser les murs du monde arabo-musulman. »
 
Photo VINCY THOMAS / LH

 
Tous se rassemblent autour de l’idée qu’il ne faut pas laisser la langue française aux Français. « Comme on dit ‘Est arabe celui qui parle arabe’, on devrait pouvoir dire ‘Est Français celui qui parle français’ » rappelle Meryem Alaoui. Dans ces histoires de dominations et d’exclusions, la communauté des auteurs francophones se sent en famille, comme le souligne Anna Moï.
 
Finalement le principal obstacle reste l’accès à leurs livres dans leurs propres pays. Yamen Manaï cite Mandela : « Une nation qui lit est une nation qui gagne. » Mais il y a aussi cette culture française qui confond identité et langue. « Les Français sont un peu raides sur cette question-là » constate Laurent Gaudé, en visioconférence. Grégoire Polet rassure en évoquant la « chaleur créatrice de la langue, qui nous fait partager le même cœur. La pluralité est un atout extraordinaire ! » C’est d’ailleurs ce qui résume parfaitement ce premier congrès : les auteurs invités ont porté un plaidoyer en faveur de la diversité de la langue française.

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