1er roman/France 4 janvier Jean-Baptiste de Froment

« Un pays comme le nôtre, vous et moi le savons bien. Ça ne se réforme pas, ça s'entretient. [...]. Il faut sans cesse tailler, il faut élaguer. [ ...] Remuer un peu les choses, faire en sorte qu'elles respirent, conservent un certain mouvement. Eviter surtout qu'elles ne s'ankylosent, qu'elles ne s'enkystent. Et se débarrasser des branches mortes. » Paroles d'énarque, ou plutôt d'un diplômé de « La Sapience », haute école d'administration d'où sortent les élites, imaginée par Jean-Baptiste de Froment dans Etat de nature (Aux forges de Vulcain). Une uchronie burlesque où le primo-romancier, lui-même haut fonctionnaire (conseiller d'Etat) et politicien (ancien conseiller de l'Elysée, conseiller de Paris), dissèque les rouages du pouvoir et fait un état des lieux d'une nation pour le moins clivée, qui ressemble en tous points à la France. Et de branches mortes il y en a moult, surtout aux cimes. Ici, la vieille branche suprême, c'est la cacochyme présidente de la République qui, retirée dans les hauteurs, ne dirige que nominalement. Le second personnage le plus important de l'Etat, le « gouverneur » Claude, n'est pas une jeune pousse mais lui au moins connaît par cœur la machine étatique. C'est son heure. Un technocrate peut-il se reconvertir sur le terrain ? C'est toute la question qui se pose dans ce vrai-faux roman à clés (dont Froment agite allègrement le trousseau) sur le cynisme des professionnels de la poloche. S'ancrer dans un territoire, voilà « la Douvre intérieure », province rurale oubliée de la carte, toute désignée.

L'homme de l'ombre s'expose enfin. Claude est vite affublé par la presse du titre de « Régent », les communicants exultent, l'intéressé n'est qu'à moitié content. Ça fait un peu en attendant la majorité du jeune roi, ça fait pas complètement légitime, vieil oncle, style duc d'Orléans. « Arrête de tout intellectualiser en permanence, le rassure-t-on. Les mots importent peu - appelle-le comme tu voudras : régent, calife, shogun, archimandrite - c'est lui désormais qui préside à nos destinées. Le message est clair, sans appel. » Quoi qu'il en soit, si Claude est régent, il s'agit de se débarrasser de l'héritier du trône. Reste à savoir qui.

Pour barrer la route à l'ambitieux et afin de nous faire tourner ces pages avec délices (on savoure le classicisme parodique), Jean-Baptiste de Froment a tenu à l'entourer de deux autres protagonistes, liés eux aussi à la Douvre : la charismatique Barbara Vauvert, l'ex-préfète débarquée par les soins dudit Régent, et le penseur anarchiste Arthur Cann, néorural, qui veut en découdre avec le « système ». La parfaite alliance de l'humain et du radical. Se lève, sur fond de colère sociale, la fronde contre la technocratie coupée du peuple, à savoir Claude.

L'auteur, aussi acide qu'un Saint-Simon, brosse une formidable galerie de portraits de serviteurs de la Chose publique, où les requins de la com' à double dentition pointue côtoient des briscards malins comme de vieux singes, tel le Président Farejeaux, « un de ces élus de province qui, à force de banquets, se mettent à ressembler physiquement aux spécialités culinaires de leur circonscription ». Mais plus encore qu'au mémorialiste de Versailles on pense à l'autre duc, le moraliste La Rochefoucauld, car chacun dissimule son propre agenda. « Il n'y avait pas de révolutions sans idiots utiles », reconnaît à regret Arthur, « nos vertus ne sont le plus souvent que des vices déguisés », disait l'auteur des Maximes.

Jean-Baptiste Froment
Etat de nature
Aux forges de Vulcain
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 18 euros ; 272 p.
ISBN: 9782373050516

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