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Pour résister à Amazon, deux visions du métier de libraire s'affrontent

Quel avenir pour la consommation ? - Photo Olivier Dion

Pour résister à Amazon, deux visions du métier de libraire s'affrontent

"Bouquets de services", marketing en ligne, "phygital"... Ces solutions, avancées par certains pros et experts pour réagir face au poids croissant d'Amazon dans la vente de livres, ne font pas l'unanimité aux 6e Rencontres nationales de la librairie qui se tiennent à Angers les 3 et 4 juillet 2022.

Par Souen Léger,
Créé le 04.07.2022 à 12h59 ,
Mis à jour le 09.07.2023 à 21h08

"Je l'avais dit il y a trois ans [aux dernières Rencontres nationales de la librairie], jamais vous n'arriverez à récupérer le retard pris sur Amazon", tranche Philippe Moati, co-fondateur de l'ObSoCo, répondant d'emblée par la négative à la question, posée lors d'une semi-plénière, de savoir si l'on peut encore contrer l'ascension d'Amazon et des Gafam. 

Pour autant, tout espoir n'est pas perdu, à condition de passer à l'offensive sur la vente en ligne et de développer "une logique servicielle" sur laquelle Amazon ne serait pas encore positionné, estime le professeur d'économie. "Vous êtes encore très axés sur le produit, la révolution qui vous attend consiste à basculer vers la construction de bouquets de biens et de services, considère Philippe Moati. L'urgence est là : à partir du livre et du client, comment on adresse une offre plus globale ?" Ateliers d'écriture, clubs de lecture, animations… "Il y a un appétit des clients pour d'autres expériences culturelles, avec une dimension communautaire", juge-t-il encore.

"Il faut qu'on soit tous en capacité de faire du phygital, c'est-à-dire que le client puisse retrouver sa marque sur son téléphone et qu'en même temps, ça le ramène en magasin", abonde Pierre Coursières, P-DG du groupe Furet du Nord-Decitre, reconnaissant avoir les moyens – avec un CA de 150 millions d'euros – de développer le e-commerce.

L'exemple de la résistance américaine

Venue de San Diego en Californie, où elle officie à La Playa Books en tant que coordinatrice d'événements, Marianne Reiner témoigne de la résistance des librairies américaines indépendantes face au mastodonte. "Les chiffres de création ou de reprise de nouvelles librairies sont en augmentation très forte ces sept dernières années", salue la libraire, citant au passage Danny Caine, propriétaire du Raven Book Store à Lawrence (Kansas) et auteur de How to Resist Amazon and Why. Pour exister face au géant de la vente en ligne, "il faut connaître son public, sa géographie, ses demandes, et s'y adapter le plus rapidement possible", insiste-t-elle.

L'union des libraires indépendants face à l'ennemi Amazon se révèle aussi une arme redoutable. "Depuis six ans, on organise le San Diego Book Crawl, un parcours sur trois jours pour découvrir les 10 librairies de la ville, avec un fort relai sur les réseaux sociaux, où vous gagnez un prix à chacune de vos étapes : un pins, un tote bag, etc.", explique-t-elle.  Résultat : le CA de la librairie explose ce weekend-là, et la librairie fait de nouveaux adeptes. "70% des clients venus pendant la manifestation n'étaient jamais entrés dans notre magasin", assure-t-elle. 

Retour au lien et au local

Face à l'hypothèse d'une réinvention du métier vers davantage de marketing en ligne et de "services" rendus aux clients, l'assistance reste divisée. "Aujourd'hui, c'est compliqué d'être sur les réseaux sociaux sans être sur les Gafam", relève un participant, invitant à explorer les possibles du Fédiverse (contraction de "fédération" et "univers"), soit un ensemble de logiciels libres formant un réseau social (comme Mastodon, Diaspora…), "pour échanger autrement avec nos lecteurs, sans retomber dans les silos privés".

Pour Philippe Soussan, gérant des Vraies Richesses à Juvisy-sur-Orge, "ce qui est important ce n'est pas tant de bâtir un modèle commercial qu'une relation avec les gens". "Ce retour au lien et au local pourra se faire à condition qu'on nous donne les outils nécessaires, ce qui passe par les loyers abordables, la revitalisation des centres-villes… On pourra alors bâtir un modèle bien plus pérenne que celui qui consiste à vouloir produire toujours plus", défend-il. 

Après la semi-plénière, la discussion se poursuit entre libraires, un petit groupe s'interrogeant sur la vision du métier qu'on vient de leur présenter. "On a l'impression qu'il faut toujours être dans le "plus, plus, plus", qu'on est une industrie", souffle l'un d'eux. A Angers, ce sont bien différentes visions du métier qui se rencontrent et se heurtent parfois.

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