1er Roman/Israël 9 janvier Michal Ben-Naftali

« Qui se souvenait encore de cette nuit de tempête, il y a trente ans, où une femme avait fait un saut mortel de son appartement sous les toits. » Plus grand monde, si ce n'est l'une de ses anciennes élèves, Michal Ben-Naftali. Traduite pour la première fois dans la langue de Molière, cette essayiste et primo-romancière est connue du paysage littéraire de son pays. Outre son travail dans l'édition (directrice de collection de lettres françaises), elle s'est distinguée pour ses traductions de Derrida, Blanchot, Breton, Ernaux ou Kristeva. Une vocation qu'elle doit à sa prof d'anglais, Elsa Weiss. Cette femme voit le jour en 1917 et s'éteint brutalement en 1982. Entre ces deux dates, une vie et une tragédie, qu'elle cachait soigneusement.

Mme Weiss « ne se déguisait pas en enseignante. Elle se déguisait en ce qu'elle était, seule et unique, tigresse rodée au combat. » Un être discret, autoritaire et distant, qui évoluait « parmi des adolescents à l'orée de leur vie. » D'après l'auteure, « c'était une professeure qui ne protégeait pas ». Qui aurait pu imaginer à quel point elle ne se protégeait pas non plus ? « Le pacte qu'elle avait conclu avec elle-même : une vie banale, prévisible, confortable. Une vie qui tienne debout. » Afin de remédier à son existence brisée. Elsa a grandi en Hongrie, un pays en proie à des vents contraires. Sa famille, réformiste, fait partie de la communauté juive de Kolozvar. Alors que son grand frère immigre en Palestine, l'héroïne part étudier le français à Paris. Elle y rencontre son mari, Eric. L'année 1940 annonce l'implosion de la stabilité. De retour sur sa terre natale, Elsa et les siens vont subir les chars de l'Histoire. Des signes avant-coureurs leur recommandent de fuir, mais l'ennemi est plus rapide. Elsa Weiss est déportée via « le train Kästner », un Schindler juif hongrois controversé. Direction finale, le camp de Bergen-Belsen. Mille récits ont déjà décrit l'indescriptible, mais Michal Ben-Naftali a l'honnêteté de s'interroger sur les limites de la fiction romanesque. Jusqu'où peut-on aller, dans quel territoire ne peut-on pas s'aventurer ? « Un abîme nous sépare, je ne peux pas le franchir. »

Alors l'auteure se concentre sur l'après-guerre. Inutile de préciser qu'Elsa « était devenue une autre. Contrairement à ce que l'on imagine, le temps ne fit pas son œuvre et ne répare rien. » La jeune femme part à son tour en Israël, mais « elle se situait après la vie ». De par son regard décalé, inhabituel et souvent dépourvu d'émotions, le roman ose affronter des tabous et des vérités universelles. Il a d'ailleurs reçu le prix Sapir, le Goncourt israélien. Mme Weiss « n'avait jamais voulu être héroïque, mais pas aussi malheureuse non plus ». Aux yeux de son ancienne élève, « elle était fraîche, tranchante comme une lame et exerçait son métier comme au premier jour. C'était la seule chose à laquelle elle ne renonçait pas. » Un flambeau qu'elle lui a transmis, puisque Michal Ben-Naftali enseigne la littérature française à l'université de Tel-Aviv. Elsa, la mutique, a emporté ses mystères, mais elle est devenue la Muse d'un premier roman remuant. « L'envol était le seul mouvement animal possible pour l'être humain. »

Michal Ben-Naftali
L’énigme Elsa Weiss - Traduit de l’hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech
Actes Sud
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 21 euos ; 208 p.
ISBN: 9782330118334

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