Séries d'été 2023

[Rentrée littéraire 2/7] Mokhtar Amoudi, la ville devant soi

Francesca Mantovani - Gallimard

[Rentrée littéraire 2/7] Mokhtar Amoudi, la ville devant soi

Tout l'été, Livres Hebdo vous propose des interviews d'auteurs et d'autrices de la rentrée littéraire. Dans son premier roman Les conditions idéales (Gallimard) Mokhtar Amoudi nous entraîne dans les tribulations d’un Huckleberry Finn de l’Aide sociale à l’enfance, entre passion de la lecture du dictionnaire et mésaventures avec les jeunes de la cité.

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Par Propos recueillis par Sean Rose
Créé le 28.07.2023 à 10h00 ,
Mis à jour le 18.08.2023 à 15h27

Skander, le jeune protagoniste des Conditions idéales, est placé en famille d’accueil, comme vous-même l’avez été…

Comme le narrateur, j’ai été un enfant de l’Aide sociale à l’enfance. Si, bien sûr, certaines aventures qui lui arrivent peuvent avoir étés inspirées par ma propre histoire, il ne s’agit pas d’un témoignage ni d’une autofiction, c’est un roman. Je suis un lecteur avide. Les illusions perdues, Voyage au bout de la nuit, Crime et châtiment, La vie devant soi sont des modèles. Et Rubempré, Bardamu ou Raskolnikov... ont été des guides pour moi. J’avais travaillé sur quelques grands axes : l’Aide sociale à l’enfance, la mémoire, le sentiment d’avoir été d’un enfant livré à lui-même, en proie à une solitude des plus profondes qui continue à se poursuivre à l’âge adulte. Une solitude qui devient, en quelque sorte, constitutive de ce qu’il est. Quand on grandit sans parents pour vous élever, qu’on se retrouve seul face à la vie, que ce soit du point du vue des émotions ou de la réalité matérielle, on est désemparé… C’est un roman sur cette solitude-là.

 

N’est-ce pas aussi un roman d’apprentissage à la Oliver Twist de Charles Dickens, ou une version contemporaine du roman picaresque ?

Skander est d’abord accueilli par des Français de la classe moyenne plutôt laïques, puis débarque chez Madame Khadija de culture traditionnelle et musulmane, et qui vit en banlieue parisienne. Le héros est balloté entre plusieurs identités, il prie Jésus et est attiré par le scoutisme avant de s’apercevoir que les scouts sont catholiques. Sa mère d’origine algérienne, qu’il continue de voir tous les week-ends, prend la décision de le faire circoncire. Mais il ne pense pas le monde en termes d’identité. Juge, assistante sociale, médecin…  Tout ce qu’il voit, c’est un monde d’adultes qui décident pour lui sans jamais lui demander son avis. Ils sont là pour le placer, pour lui interdire de faire ceci ou cela, ils sont des intervenants de sa vie.

 

L'école pour comprendre le monde 

 

Le héros choisit quand même une chose : être l’ami des mots, le dictionnaire ne le quitte jamais.

Bizarrement, malgré sa situation, il est très performant à l’école. D’abord, c’est un refuge, une manière de s’évader de son quotidien. Toutes ces matières : l’histoire, le français… le passionnent ; il y a cette professeure d’histoire-géo qu’il adore. Mais plus que des savoirs qu’elle lui inculque, l’école lui permet de comprendre le monde avec plus d’agilité, de se refaire la tête. C’est grâce à elle que cet enfant prend conscience de lui-même.

 

À travers Courseine, cette ville de banlieue où atterrit le héros, vous tracez une topographie d’un réalisme formidable (deal, délinquance, ultra-violence)…

Je ne souhaitais pas romancer la réalité de la banlieue que j’ai connue, la tentation de l’argent chez des jeunes qui sont privés de tout, ou qui se sentent exclus, et que des idées criminogènes travaillent… j’ai voulu dépeindre tout ça, oui certains – pas tous, évidemment – deviennent des petits démons dont la valeur cardinale est d’accumuler de l’argent. Quand on est jeune et embarqué dans de telles pesanteurs, éviter de tourner mal, c’est très dur. Mais vous savez, la vie adulte m’est apparue encore plus difficile, le matériel vous rattrape. Grâce à mes bonnes notes, j’ai pu faire des études, mais la violence sociale n’est pas moins terrible à Paris. On a beau crier, la ville demeure sourde, alors j’ai décidé d’écrire.

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