Roman/France 6 mars Emilio Sciarrino

« Je prends une résolution debout ; je m'allonge - et l'annule », écrivait Cioran. Si le penseur roumain a su mieux que quiconque exprimer les « syllogismes de l'amertume » d'un homo sapiens las d'agir, la grève de réussite sociale ne date pas d'hier. Dès que l'écolier a été sommé de passer son bac, la tentation de devenir un cancre est née. Chaque époque a eu sa classe d'âge avec son lot de haussements d'épaules et de soupirs. Une génération à la fin des Trente censément glorieuses a été affublée « bof génération ». L'aquoibonisme dans la dernière décennie du XXe siècle trouva son héraut en la personne du Canadien Douglas Coupland, auteur de Génération X - trois jeunes employés dans des McJobs, « boulots de merde » pour surdiplômés sous-payés, qui, au lieu de changer de plan de carrière, préféraient s'échapper dans le désert et se raconter des histoires, histoire de rêver.

A l'aube du nouveau millénaire, les glaciers fondent, les abeilles tombent, et les cancers de tout acabit guettent, sans parler de la terreur et des populismes aux tentations autoritaires plébiscités comme seul recours à l'insécurité et exutoire à la fin du monde. Bref, c'est la crise sur fond de réchauffement climatique. Mais Marco, de la planète, du vivre-ensemble... rien à foutre ! L'économie ? On n'en est plus au niveau « macro » ni « micro », le narrateur de Jour couché d'Emilio Sciarrino ne se gère plus lui-même, son ego est à moins que zéro. Ainsi se confie-t-il en prologue de ce premier roman tristement drôle : « J'ai trente ans et je suis un raté. [...] Au moins ceux qui ne sont rien ils le savent. On ne les entend jamais, d'ailleurs. Mais croire qu'on est quelqu'un, et découvrir qu'on n'est rien, c'est perdre deux fois. »

Marco quitte l'Italie où l'avenir est bouché pour « Sorbonne City » à Paris, où il espère faire une thèse sur les animaux dans la littérature contemporaine. Grâce à l'éminent Baudon qui dirige sa thèse, il obtient des cours de manière temporaire en attendant un poste une fois le doctorat en poche. Une collègue qui s'était emportée contre ses étudiants amorphes a été filmée à son insu, le courroux professoral tonnant « de toute façon vous serez tous caissiers chez Franprix » tourne en boucle sur YouTube. Scandale : les étudiants réclament le licenciement de Mme Dubois. Contre-offensive : le corps enseignant signe une pétition exigeant le retrait de la vidéo et le respect du « principe même de cours magistral ».Marco, peu engagé dans la vie en général, et universitaire en particulier, n'appose pas son paraphe. Il décroche son diplôme et attend d'être enfin nommé, comme le lui avait promis son directeur de thèse. Il n'obtiendra pas l'emploi escompté car Mme Dubois, se souvenant de son non-engagement, s'y oppose. Le voilà au chômage. A se lever tard et fumer des joints avec son « coloc » Jean, fils à papa en pyjama, joueur de poker en ligne invétéré. Entre petits boulots et drague au bistro, Marco évolue quand « un nouveau Mai 68 » éclate. Rebelle jeunesse ? « Les coucheurs, comme ils se dénomment, commente BFMTV, se sont, eh bien, couchés sur les places publiques toute la journée.» Si travailler fatigue, ne pas travailler plus encore.

Emilio Sciarrino
Jour couché
Rouergue
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 19,80 euros ; 256 p.
ISBN: 9782812617461

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